La loi influenceurs “mal fagotée” dans le champ des cryptos

Cyrille Pitois
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La toute nouvelle loi dite influenceurs crée une obligation de transparence des activités promotionnelles. Un texte pas vraiment adapté au marketing d’influence, qui cherche à recruter des investisseurs cryptos.

Le député Renaissance Stéphane Vojetta participe à la conférence Surfin’ Bitcoin à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) pour défendre la loi qu’il a co-écrite et faite adopter par l’Assemblée nationale en date du 9 juin dernier, pour encadrer l’influence commerciale et lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Parmi les personnes visées par cette loi, ceux qui proposent des investissements soi disant juteux qui se soldent par des arnaques. Pour Romain Chilly, avocat associé ORWL, également présent à Biarritz, ce texte loupe en partie sa cible dans le champ des cryptos.

FM: Vous êtes assez critique sur cette loi dite influenceurs. Qu’est-ce que le juriste reproche à ce texte ?

Me Romain Chilly : Je suis d’abord critique sur la méthode. C’est une loi qui a été adoptée très vite, en moins de deux mois, avec des vacances parlementaires entre temps, parce qu’il y avait une volonté d’annonce qui peut se comprendre. C’est un sujet qui fait peur et il fallait rassurer. Mais le besoin de communication s’est fait au détriment du fond. Sous l’angle qui nous occupe de la réglementation de la communication autour des cryptos, le dispositif passe un peu à coté des phénomènes contre lesquels il aurait dû véritablement lutter.

80% des sources d’arnaque pas concernées par le texte

FM : Vous craignez que les influenceurs cryptos mal intentionnés échappent à cette loi ?   

Me Romain Chilly : La plupart des comportements d’incitation à des investissements qui sont en réalité des arnaques passent rarement par des vidéos sur Youtube. Il y a des influenceurs qui communiquent de façon non transparente sur des projets bancals, mais de mon expérience, la plupart des arnaques passent plutôt par des invitations à discuter sur des groupes de discussion privés. Sur Telegram ou Discord, des conversations hors circuit permettent de gagner une certaine proximité avec les gens et sont des leviers beaucoup plus courants pour les inciter à des investissements. Or ce canal est oublié par la loi. Rien que dans la définition de l’influenceur, personne qui à titre onéreux doit mobiliser son audience pour communiquer auprès du public, on exclut déjà tous les canaux qui sont de fait privilégiés pour réaliser des arnaques. De ce point de vue, la loi tape à côté.

FM: Les parlementaires n’ont-ils pas consulté les spécialistes de la blockchain et des cryptos ?

Me Romain Chilly : Le premier texte était mal fagoté. Les acteurs se sont mobilisés, il y a eu des opérations de lobbying, des députés ont travaillé le dossier, le sénat a aussi bien joué son rôle au moment de la navette parlementaire. Mais tout cela en dit long sur l’impréparation du texte et la volonté de faire passer une loi à tout prix. Le tir a été corrigé. Le dispositif voté est heureusement bien meilleur que la première version.

Sans coopération judiciaire avec Dubaï

FM: La question est de savoir si les consommateurs sont finalement suffisamment protégés grâce à cette nouvelle loi ?

Me Romain Chilly : Tout n’est pas à jeter. Il y a de bonnes choses comme la possibilité de demander aux réseaux de suspendre les chaînes qui ne respectent pas la loi. Mais 80 % des sources d’arnaques ne sont pas concernées par le texte. Je pense aussi en termes de périmètres : des projets de films qui ont demandé de l’argent à des investisseurs et n’ont, au final, rien produit, ne sont pas visés par cette loi.

FM: Est-ce à dire qu’en tant qu’avocat, votre caisse à outils est insuffisante pour défendre les victimes d’arnaques ?  

Me Romain Chilly : Le code de la consommation est déjà un outil très fourni. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) communique d’ailleurs régulièrement sur des injonctions pour défaut de mention de partenariats rémunérés et des sanctions sont déjà prises. Mais c’est sur la base de textes qui préexistaient. Les avocats ne manquent pas d’outils juridiques. Ils sont beaucoup plus démunis du point de vue des moyens de la justice et de la coopération judiciaire avec les Etats dans lesquels se trouvent potentiellement les arnaqueurs. Un nouvel accord de coopération judiciaire entre la France et Dubaï ou Israël, pour permettre l’extradition de ressortissants français, aurait été beaucoup plus efficace que cette loi. L’effectivité de la loi française est quasiment nulle dans ces pays.

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