Les non-dits de la cohésion européenne

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Une fuite des capitaux vers le marché financier américain, des politiques européennes qui se contredisent, des régions françaises qui décrochent, il y avait beaucoup à lire entre les lignes du 9ème Forum de la Cohésion qui se tenait à Bruxelles en ce mois d’avril. Dans un contexte d’élections européennes dont bien des français pourraient se désintéresser, comprendre les enjeux réels devient urgent pour peser dans la balance des réformes initiées.


La politique européenne de cohésion, ce ne sont pas juste près de 400 milliards d’euros qui sont reversés aux régions pour équilibrer leur niveau de vie. C’est un pilier essentiel de la logique européenne et de son marché unique : pour que celui-ci fonctionne et permette aux États membres d’en tirer tous les bénéfices, il ne faut aucune région laissée derrière, et aucun citoyen écarté de la possibilité de devenir un consommateur européen. Le marché unique et la politique de cohésion ont donc été inventés ensemble, il y a plus de 30 ans, avec cette promesse.

Le programme actuel de cette politique de cohésion s’arrête en 2027 et déjà il est question de réformer le dispositif dans son ensemble. Lors du Forum, de nombreux débats ont donc tourné autour du bilan des programmes passés et des perspectives d’évolution de cette politique après 2027, avec des points de vue parfois contradictoires sur trois axes principaux : le manque de cohérence des politiques européennes, la tentation de la centralisation, et l’impact budgétaire du futur élargissement appuyé par la présidente de la commission, Ursula Von der Layen.

Les incohérences européennes

On l’a souligné, la politique de cohésion, même si elle n’a pas nécessairement été pensée de la sorte, est l’une des rares politiques de solidarité en œuvre qui affiche un objectif de rééquilibrage des niveaux de vie à l’échelle des régions européennes. Mais la main droite peut-elle ignorer ce que fait la main gauche ? «60 millions d’européens vivent aujourd’hui dans des régions où le pouvoir d’achat a baissé depuis 30 ans, et 75 millions dans des régions où il est resté identique» souligne Andrés Rodríguez-Pose, qui dirige le groupe de réflexion sur l’avenir de la politique de cohésion. Selon de nombreux intervenants du forum, ces chiffres ne seraient pas un signe d’échec de la politique de cohésion, mais bien de la mise en place par l’Europe de politiques contradictoires qui entravent les efforts de cohésion. Pour Enrico Letta, ancien premier ministre italien, il y a par exemple un problème de marchés financiers : «300 milliards d’euros d’économies européennes alimentent chaque année le marché financier américain parce que le marché européen n’est pas assez intégré et attractif. Puis cet argent permet à l’économie américaine de venir acheter des entreprises européennes.»

« En France, on constate particulièrement l’opposition entre l’impact des politiques européennes de lutte contre les déficits budgétaires et la politique de cohésion : l’Europe demande d’un côté à l’Etat de réduire ses budgets, ce qui se traduit par une baisse des services publics, et notamment de l’hôpital, et une augmentation de la fracture sociale et de l’écart entre les régions les plus favorisées et celles qui souffrent de la désertification des talents, capitaux et services» affirme Younous Omarjee, président de la commission du développement régional du Parlement européen. Le tout en contradiction manifeste avec les efforts d’harmonisation entre régions mis en œuvre de l’autre côté par la politique de cohésion.

La tentation de la recentralisation

Pour rééquilibrer les régions les unes par rapport aux autres et non les pays les uns par rapport aux autres, la politique de cohésion a historiquement accéléré le calendrier de la décentralisation de ses Etats membres, afin de se mettre en situation de recevoir ces fonds européens régionaux. Mais dans certains pays comme la France, où les régions constituent parfois l’un des derniers contre-pouvoirs, cette gestion décentralisée n’est pas toujours bien vécue par l’Etat, et dans le contexte d’une redéfinition après 2027 de la politique de cohésion, la tentation serait grande d’en profiter pour peser pour une recentralisation de la distribution de ces fonds. Vasco Alves Cordeiro, président du Comité des Régions, voit ainsi d’un mauvais œil la tendance de certains Etats à citer en modèle le Fond de Relance et de Résilience, cet outil mis en œuvre dans l’urgence pour soutenir les économies dans le contexte du Covid, et qui avait distribué ses fonds directement aux Etats et non aux régions. «Nous devons prendre garde à ne pas répliquer la centralisation de ce fond, sa mise en œuvre a été dictée par la précipitation, il n’est pas conforme à l’esprit de la politique de cohésion par son manque de collaboration avec la gouvernance locale». Distribuer des fonds aux Etats en espérant notamment un ruissellement vers les régions les plus fragiles n’a en effet pas encore fait ses preuves.

« Dans un contexte de crise démocratique, de nombreux Etats sont tentés par l’autoritarisme et cherchent à tout contrôler, observe Younous Omarjee. Conserver la décentralisation est essentiel. Il va s’agir d’une bataille à mener à l’échelle de l’Europe dans les mois à venir mais rien ne pourra se faire sans l’aval du parlement européen, qui doit rester en cohérence avec le comité des régions. Et aujourd’hui ces instances ne sont pas contre la réforme de la politique de cohésion, notamment vers une simplification maximale du dispositif. Mais la recentralisation, c’est non. »



L’élargissement de l’Europe, une menace pour les régions ?

Si l’entrée dans l’Union de pays comme l’Ukraine semble une hypothèse assez lointaine, Ursula Von der Layen, pour des raisons possiblement plus diplomatiques qu’économiques, a affirmé souhaiter accélérer l’élargissement européen. Des pays plus petits et considérés par certains experts comme plus « prêts », comme le Monténégro, pourraient ainsi bénéficier plus rapidement de cette accélération du calendrier. Mais quel impact pour la politique de cohésion ? Qu’il s’agisse de reconstruire l’Ukraine ou simplement des efforts d’harmonisation des niveaux de vie des régions de ces nouveaux pays, la facture pourrait être salée. « Entre la contribution budgétaire de ces pays et les fonds nécessaires, c’est une ardoise de plus de 60 milliards d’euros qui serait à la charge de la politique de cohésion, soit 20% de baisse des fonds qui sont attribués aux régions aujourd’hui, dénonce Younous Omarjee. Cela pourrait fragiliser le formidable Plan Marshall permanent que représente ce dispositif. »

Mais qui dit Plan Marshall, comme pour le soutien américain de la reconstruction de l’Europe d’après guerre, dit gros bénéfices à terme pour ceux qui viennent en soutien. Reste à capter d’une manière ou d’une autre cette valeur ajoutée. « On pense que de grandes mutations comme l’élargissement ou la transition écologique devront être financées par les fonds actuels du budget de cohésion, mais c’est une erreur, affirme Enrico Letta. Les fonds de cohésion doivent être réalimentés, ils sont essentiels et il ne faut pas sous-estimer leur effet de levier ». « Trouver de nouvelles ressources est fondamental, renchérit Younous Omarjee. On a beaucoup parlé de nouvelles taxes européennes, notamment sur les plus riches, ou sur les transactions financières, cela est resté très incantatoire, et la Commission s’y est opposé jusqu’à présent. Mais il faut se donner les moyens de ses ambitions, et la future politique de cohésion ne se fera pas sans cela. »

Ce Forum de cohésion, dans ce contexte particulier d’élections européennes, s’est conclu sur une remarque de Vasco Alves Cordeiro qui a semblé faire l’unanimité : « il faut désormais vérifier l’engagement des différents candidats sur ces questions de solidarité des régions avant de choisir pour qui voter… ».


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