Banques et Réchauffement Climatique : l’imbrication.

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Bruno Le Maire déclarait à Bercy le 25 octobre 2019 : « La finance sera verte ou ne sera pas. Parce que nos compatriotes n’accepteront pas d’aller placer leurs économies dans des banques […] qui ne leur garantissent pas que leur argent va à la lutte contre le réchauffement climatique. Et je ne connais pas un jeune de 20 ans qui va aller déposer son argent dans une banque qui continuerait à financer des mines de charbon, pas un. Ils refuseront tous et ils auront raison. »

Un mois plus tard était publié un rapport d’OXFAM et des Amis de la Terre intitulé « La colossale empreinte carbone des banques » pointant le rôle des 4 plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE) dans le réchauffement climatique dû à leurs activités de financement et d’investissement, émettant par ce biais 4,5 fois plus de CO2 que notre pays chaque année (Les Amis de la Terre & Oxfam, 2019).

Alors que le monde semble changer, que les gammes biologiques et écologiques de tous nos produits de consommation fleurissent sur les étagères et que toutes les générations se donnent rendez-vous dans la rue pour scander ensemble la protection de l’environnement ; les banques,  elles, dans leurs choix et impacts, semblent aller à contre-courant.

Pourquoi ? Pas par pur sadisme. Pas par désintérêt du consommateur, le risque de réputation étant évalué comme le plus important dans les matrices risques de nos grandes banques. Pas non plus par manque de volonté (aux premiers abords) : les départements RSE sont actifs. Alors pourquoi ? C’est ce que nous essayerons d’éclairer dans cet article.

Avant tout de chose, il est à préciser que cette démarche ne vise pas à dénigrer ce qui est actuellement fait en interne dans ces banques pour essayer de lutter contre la crise climatique, toute initiative est bonne à prendre et elles sont nombreuses dans ces banques (politique RSE, politiques sectorielles d’exclusions, neutralité carbone des bureaux…) mais il semble que structurellement les actifs de nos banques dans leur majorité sont encore trop carbonés. Penchons-nous donc sur les raisons qui poussent les banques à continuer de soutenir les énergies fossiles et les différentes alternatives qui existent pour les Français pour réduire l’empreinte environnementale de leur argent. 

Pourquoi dit-on que nos banques polluent ?

Quand on parle des émissions de CO2 de nos banques on parle des émissions qu’elles permettent indirectement grâce à leurs investissements et financements. Il n’est pas question ici des émissions de CO2 dites de “fonctionnement” des banques dues à leurs bureaux, leur équipement ou leurs serveurs, qui sont finalement assez peu élevées. Nous parlons ici de leurs activités de financement de l’économie et notamment de l’impact carbone des industries et entreprises qu’elles soutiennent. 

Et quand on regarde de près le bilan de nos banques, on y trouve une très forte quantité d’actifs dits carbonés c’est-à-dire liés au fossile : gaz, charbon, pétrole. Ainsi, 70% des investissements des 6 plus grandes françaises dans l’énergie est consacré aux énergies fossiles encore en 2017 (Les Amis de la Terre & Oxfam, 2019). 

Cette quantité énorme d’actifs carbonés est un héritage remontant aux révolutions industrielles.

Toujours selon Oxfam, les financements par prêts, ou détention d’actions, sous toutes leurs formes, accordés par les 4 plus grands groupes bancaires français aux acteurs des énergies fossiles ont été à l’origine de l’émission de plus de 2 milliards de tonnes de CO2 en 2018, soit 4,5 fois plus que l’ensemble des émissions de CO2 territoriales françaises (sans compter les importations donc).

Si les banques n’émettent directement qu’une quantité relative de CO2, elles permettent par leurs investissements et financements massifs à d’autres acteurs d’en émettre. C’est par cette action que nos banques sont dénoncées comme extrêmement polluantes.

Prenons l’exemple du charbon. L’arrêt total des centrales nucléaires allemandes peu de temps après la catastrophe de Fukushima a accentué la part de cette énergie dans le mix énergétique allemand dont le conglomérat énergétique RWE est un des principaux acteurs. RWE, connu comme le “premier pollueur d’Europe”, est soutenu par plusieurs banques françaises qui en détiennent des actifs, dits alors “carbonés”. 

Ainsi en 2014 et 2016, la Société Générale et la BNP Paribas ont apporté à RWE des financements à hauteur de 350 millions d’euros. Et si, en 2019, certaines banques comme le Crédit Agricole ou la BPCE ont finalement décidé d’arrêter leurs financements au secteur du charbon, excluant ainsi leur (ex)client RWE, la Société Générale et la BNP Paribas ont quant à elles renouvelé leur participation en 2019 auprès de l’entreprise participant à un prêt d’un montant total de 5 milliards d’euros (et ce malgré des politiques d’exclusions sectorielles).

Si les émissions de CO2 liées à cette centrale sont à imputer à première vue à RWE uniquement, elles peuvent aussi être imputées aux émissions de CO2 des banques au pro rata de leurs participations. Mais à quelle hauteur ? Quels sont leurs niveaux de responsabilité ? La question de la méthodologie est alors centrale.

Comment calcule-t-on les émissions carbones des banques ?

Si l’on peut s’accorder aisément sur le fait que financer une centrale à charbon c’est assumer une part de ses émissions carbones, il est plus difficile de déterminer le périmètre précis des responsabilités des différentes parties prenantes. Se pose alors la question du périmètre à prendre en compte pour calculer les émissions de CO2 et la recherche de sources fiables, accessibles et exhaustives pour connaître quantitativement les montants des émissions carbones en jeu.

La méthodologie la plus courante pour calculer les émissions imputables à un investissement et/ou financement est celle de la Partnership Carbon Accounting Financials (PCAF), utilisée par exemple par OXFAM et Les Amis de la Terre pour leur étude mentionnée ci-avant. Cette méthodologie permet d’imputer un volume d’émissions de gaz à effet de serre à chaque transaction effectuée par la banque, en fonction du type d’activité financière.

Pour cela il faut (1) connaitre l’ensemble des transactions financières des banques aux entreprises du secteur fossile (gaz, pétrole et charbon y compris la production électrique à partir de ces énergies) ainsi que (2) connaitre quantitativement les émissions de CO2 de ces entreprises au cours des années de l’étude. 

  1. Les différentes transactions financières identifiables incluent les financements de projets, les prêts syndiqués, les émissions d’actions et d’obligations et les détentions de nouvelles actions. Cependant, certaines transactions ne sont pas encore identifiables, notamment les financements bilatéraux encore trop opaques pour être pris en compte, les banques faisant appel au secret professionnel vis-à-vis de leurs clients, et les détentions d’obligations des banques qui ne sont pas assez exhaustivement répertoriées sur les bases de données financières.
  2. Les données concernant les montants quantitatifs des émissions de CO2 des entreprises de ce secteur sont celles volontairement transmises par celles-ci dans le cadre du Climate Disclosure Project 25. Les bases de données Bloomberg et Thomson les rassemblent aussi à partir de publications d’entreprises ou de l’utilisation de leurs propres méthodologies pour effectuer une estimation par entreprise. (Il n’est pas à préciser que la véracité de ces déclarations ne peut jamais être complétement vérifiée…)

Une fois les informations de ces deux points rassemblées, les émissions de CO2 imputées à la banque sont calculées au prorata de son soutien financier relativement à la valeur de l’entreprise soutenu. 

La logique est simple : les émissions de CO2 dont la banque est responsable sont celles qu’elle a rendu possible grâce à son soutien financier. 

Par exemple, le calcul pour mesurer les quantités de CO2 dont une banque est responsable, pour l’achat d’actions ou l’émission d’obligations est : 

Émissions de CO2 imputables à la banque = 

(montant investi par la banque en actions de l’entreprise  / valeur de l’entreprise) x émissions CO2 de l’entreprise

Émissions de CO2 imputables à la banque = 

(montant de l’émission d’obligation par la banque / valeur de l’entreprise)  x émissions de CO2 de l’entreprise

Ces calculs faits, et les résultats dévoilés, il convient de s’interroger sur le risque que représente la détention par nos banques de ces actifs carbonés. Au delà de ceux évidents pour l’environnement et l’avenir de notre planète, il existe aussi un risque systémique important.

Quels sont les risques de la dépendances de nos banques aux actifs carbonés ?

Penchons-nous sur les dits “stranded assets”. Les « stranded assets » ou littéralement “actifs irrécupérables” sont des actifs qui ont subi des dépréciations, des dévaluations ou des conversions au passif imprévu. 

Ces actifs constituent une perte sèche pour les investisseurs, représentant donc un haut niveau de risque. Ils sont, sans surprise, très répandus dans les actifs carbonés… et le seront de plus en plus du fait des nombreux facteurs liés à l’environnement qui pourraient rapidement les déprécier. 

Les principaux risques étant les suivants : 

  • La dégradation du capital naturel (sécheresse, catastrophes, épidémies …)
  • Le changement de répartition des ressources (épuisement) 
  • De nouvelles réglementations gouvernementales contraignantes (par exemple des interdictions d’exploitation)
  • La baisse des coûts des alternatives propres comme le solaire, l’éolien…
  • L’évolution des normes sociales et des exigences des consommateurs (par exemple, les campagnes de désinvestissement des combustibles fossiles) 
  • Augmentation des litiges (liés par exemple à la responsabilité carbone) 

La plupart des grands groupes pétroliers considèrent dans leurs actifs les réserves encore non-exploitées, augmentant ainsi la taille de leurs bilans et donc leurs valeurs.
Cependant, il se pourrait que ces réserves ne soient jamais exploitées en raison de la réglementation changeante pouvant interdire l’exploitation de certains gisements pour des questions environnementales, ou de la chute des prix, ou de grands changements de comportements consommateurs…

Le Think Tank  Carbon Tracker a ainsi mis en garde les investisseurs dès 2013 sur l’existence d’une possible bulle carbone d’ici les prochaines années. 

Au vu de la prise de conscience du risque climatique à l’échelle globale, une multiplication de ces « stranded assets » est à prévoir et les banques devraient, elles aussi, se prémunir contre ce risque. Il faut rappeler que, malgré leurs politiques RSE et leurs tentatives de réduire leurs émissions, les 4 plus grandes banques françaises ont augmenté leurs financements des énergies fossiles de plus de 20 % (2019 vs 2018) atteignant 63 $ milliards (Rainforest Action Network, 2020). 

En plus de représenter un risque pour la planète, le dérèglement climatique et la crise environnementale représente un risque systémique de la structure financière en cas de l’implosion de la bulle carbone. 

On ne parle donc plus d’une prétendue lubie de la branche écolo radicale souhaitant l’extinction du capitalisme mais d’un véritable risque systémique qui pourrait noyer des pans entiers de notre économie si un véritable désinvestissement (progressif) des actifs carbonés n’est pas réalisé.

À la croisée de 3 potentielles crises majeures.

Si la solution est un “désinvestissement progressif” des actifs carbonés pour sauver la planète et le système avec, pourquoi les banques ne le font pas alors – ou trop peu  ? 

La réponse tient en quelques mots : Elles ne le peuvent pas. 

Car nos banques “traditionnelles” sont au carrefour de 3 grandes crises systémiques potentielles et futures qui conditionnent énormément leurs mouvements : 

La première est une crise systémique d’instabilité (telle que nous l’avons connue en 2008), sans lien direct avec ces actifs carbonés.

La deuxième est celle qui arriverait si les banques se retiraient trop vite de ces actifs carbonés. Le marché s’effondrerait, et celles qui ne se seraient pas débarrassées de ces actifs carbonés à temps se retrouveraient avec une quantité astronomique d’actifs alors irrécupérables, entrainant la faillite. 

Enfin, la troisième crise potentielle est celle qui arrivera si nos banques ne bougent pas assez vite. Car financer des entreprises qui émettent de grandes quantités de CO2 engendre et engendrera une crise climatique et environnementale impactant l’immense majorité des entreprises dans tous les secteurs économiques, donc leurs valorisations, leurs capacités de remboursement etc… et donc la valeur de ces actifs. 

Conclusion :

Les banques sont aujourd’hui un enjeu central dans la lutte contre le changement climatique. Avec les trillions investis chaque année, dont une grande partie dans les énergies fossiles, elles comptent parmi les plus grands pollueurs de notre planète. Bâties sur les actifs carbonés depuis les révolutions industrielles, elles continuent à soutenir ces industries chaque année un peu plus, augmentant leurs dépendances et diminuant leurs chances de sortie. Mais en allant à contre-courant de l’Histoire, elles s’exposent aussi à de grandes crises systémiques. Nous essayerons de voir dans une seconde partie à qui doit incomber la responsabilité du changement de cap : qui des banques ou de la société doit être à l’origine de la sortie du fossile ? Mais aussi, quels changements sont opérés actuellement dans les banques pour limiter cet impact et ces risques et quelles alternatives existent.

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