Enquête – CGP : quand les fonds s’en mêlent

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Attendue depuis déjà une dizaine d’années, la consolidation du marché des Conseils en gestion de patrimoine (CGP) est désormais bien enclenchée. Un processus auquel participent de plus en plus de fonds d’investissement, convaincus du potentiel de ce segment de marché… et séduits par les raisons structurelles qui poussent à sa réorganisation. Explications.

L’accord a été scellé fin juillet. D’ici au 1er trimestre 2024, le géant de l’immobilier Altarea deviendra l’unique actionnaire de Primonial – après avoir franchi une première étape consistant à s’emparer de 60 % du marché des CGP, au cours du 1er trimestre 2022. Précisément, il deviendra propriétaire des activités d’asset management immobilier (soit 30 milliards d’euros d’actifs gérés) et de distribution (soit 12 milliards d’euros conseillés), tout en prenant une participation de 15 % dans La Financière de l’Échiquier – à 100 % dans le giron de Primonial depuis 2019. Ainsi valorisé quelque 2 milliards d’euros, ce dernier verra donc une nouvelle fois son capital évoluer. 

Mais il constitue une exception, à l’heure où nombre de ses confrères choisissent de s’allier à un fonds d’investissement. Dans son cas, Bridgepoint et Latour Capital, les deux derniers financiers qui en sont encore actionnaires – puisque BlackFin Capital Partners a signé sa sortie en 2017 –, entament leur retrait (en restant en revanche, pour un temps, au capital de La Financière de l’Échiquier). « Nous ne sommes pas à contre-courant de la tendance de marché, mais plutôt en avance sur celle-ci, analyse Rachel de Valicourt, directrice générale de Primonial Ingénierie et Développement – le pôle conseil et distribution du groupe. Ces dernières années, nous avons avancé avec l’appui de fonds pour structurer notre croissance et nos acquisitions, de sorte à disposer en 2021 de plus de 50 milliards d’euros d’encours sous gestion – contre 16,7 milliards d’euros fin 2016. Désormais, nous entamons une nouvelle phase de notre développement, avec une optique à plus long terme, puisque structurée autour des synergies industrielles à venir avec Altarea. »

Si cette transaction est née à l’initiative de l’acquéreur, il n’aura échappé à personne que l’évolution actionnariale des CGP fait de plus en plus l’affaire des fonds de private equity, qui saisissent l’occasion de s’intéresser d’un peu plus près à un métier qu’ils jugent prometteur pour le rendement de leur investissement. Après quelques opérations menées au gré de ces dix dernières années – comme celle menée par NextStage et Matignon Investissement & Gestion dans la plateforme d’épargne en ligne Linxea, en 2015 –, les prises de participation se font désormais fréquentes. Doit-on voir là un phénomène de mode ou bien un mouvement plus structurel ? À cette question, dirigeants et investisseurs répondent unanimement en retenant la deuxième option… L’heure de la consolidation du marché a sonné.

Facteurs structurels et conjoncturels

Mais comment justifier la multiplication de ces investissements ? La croissance du marché tricolore est le premier argument avancé, du fait de raisons structurelles sous-jacentes. En effet, nul besoin de grands calculs pour établir que la France est un pays riche, où l’on compte de plus en plus de personnes au patrimoine financier important. Le taux d’épargne moyen, plutôt élevé, s’y est même accru depuis la crise de la Covid‑19, puisqu’il excédait 20 % du revenu disponible brut en 2020 – contre moins de 15 % pour la période 2000-2019, selon Eurostat. De quoi faire de ce domaine d’activité un segment résilient en ces temps pour le moins troublés.

Qui plus est, les besoins des clients des CGP augmentent en raison de tendances sociétales désormais bien établies : le prolongement de la durée de vie et la recomposition des familles – avec parfois une dimension internationale – plaident en faveur de plus d’accompagnement des particuliers aisés pour la gestion de leur patrimoine. « Sans oublier la fin annoncée du régime des retraites par répartition et la montée en puissance des retraites par capitalisation qui en découle », pointe un observateur. 

Last but not least : la conjoncture plaide en faveur de la montée en puissance des CGP. Avec des taux d’intérêt négatifs, nul ne peut protéger son épargne sans risque depuis déjà quelques mois. Et comme ceux-ci devraient rester à des niveaux historiquement bas, il est de plus en plus nécessaire d’accompagner une population dont la culture financière n’est généralement pas assez développée pour organiser son patrimoine sans assistance. 

« À fonds » sur les CGP

Quoi de plus logique, au vu d’un tel alignement de planètes, à ce que les fonds de private equity scrutent la population des CGP ? Les opérations emblématiques se sont d’ailleurs enchaînées : depuis le début de l’année 2020, Cyrus Conseil a accueilli Bridgepoint Development Capital en position minoritaire, Herez en a fait de même avec le family office Florac, et Groupe Crystal a choisi Apax Partners comme principal actionnaire. Quant à Olifan, il a confié 40 % de ses titres à BlackFin Capital Partners, fin juillet. Sans oublier des opérations plus « modestes », comme celle menée par Valoria Capital avec son nouvel actionnaire majoritaire, IK Investment Partners. Et celle dévoilée le 31 août par Andera Partners, nouvel actionnaire de référence du Groupe Patrimmofi – né d’un spin-off de Primonial, en 2016.

L’effervescence est donc de mise. Outre la multiplication des opérations – récente, donc, bien que beaucoup d’investisseurs confient s’intéresser au secteur depuis déjà quelque temps –, il faut noter que leur appétit s’est généralisé. En témoigne notamment la façon dont ont pu être menés des processus d’enchères pour de telles ouvertures de capital, avec un nombre croissant de postulants. Si jamais certains fonds furent précurseurs, on ne peut nier que beaucoup ont désormais placé les CGP dans leur écran radar. « Il y a eu une arrivée d’investisseurs que l’on peut qualifier de massive si l’on compare leur nombre avec la petite industrie que nous sommes », analyse Meyer Azogui, président de Groupe Cyrus – dont l’accord conclu avec Bridgepoint, en 2020, représente la quatrième recomposition du capital après son premier LBO, en 2004.

Réglementation et investissements

Il est vrai que la structure du marché les incite à investir. Et ce même s’il s’avère compliqué d’en établir une cartographie précise. Sur les quelque 3 000 à 4 000 intervenants actifs estimés, une moitié serait composée soit d’individus, soit d’une toute petite poignée d’associés, au champ d’action réduit. À l’autre extrémité du spectre, seule une dizaine d’acteurs dispose chacun de plus de 2 milliards d’euros d’encours – la partie « intermédiaire » étant composée d’intervenants dont le métier se limiterait à la défiscalisation (financière ou immobilière). La consolidation est donc possible… mais elle entre dans une nouvelle phase, pour deux raisons essentielles.

« Le poids de la réglementation se fait de plus en plus ressentir, note Patrick Ganansia, président de Herez. Cela implique des dépenses importantes pour qui doit intégrer de nouvelles compétences et se doter d’un responsable des procédures et contrôles internes (RPCI) ou d’un patron de la réglementation, par exemple. » 

Sans compter que la nécessité de se conformer aux normes européennes déclinées dans l’Hexagone accroît sensiblement le temps à consacrer à l’administratif, et que les « petits » intervenants ne sont pas enclins à sacrifier ainsi leur agenda, qu’ils consacrent plus volontiers à leur métier et au contact client. Tous les intervenants sollicités au cours de cette enquête s’accordent également sur le fait qu’un deuxième facteur vient alourdir la facture : les déploiements dans le numérique. « Les CGP doivent investir dans de nouveaux outils digitaux et des CRM dans l’optique de continuer à proposer des services en ligne avec les attentes de leurs clients », note Patrick Bendahan, managing director chez Florac. Pour être en mesure de concurrencer les banques privées, mieux vaut en effet être doté d’outils permettant d’optimiser ce que l’on pourrait considérer comme étant le parcours client dans d’autres secteurs – ou l’UX, dans le numérique. 

« Ces outils sont également mis au service du réglementaire, notamment pour permettre une meilleure analyse du profil de risque du client et l’adéquation avec son portefeuille », relève Thomas Simon, associé d’Apax Partners. De quoi constituer un gage de qualité et de sécurité, tant pour le client final que pour les CGP indépendants qui souhaiteraient accéder à de tels sésames en rapprochant leur entité de confrères déjà équipés. « Il faut plus que jamais avoir les moyens de son indépendance, résume Meyer Azogui. Que ce soit d’un point de vue capitalistique, en bénéficiant du soutien d’un actionnaire financier pour mener à bien une stratégie de croissance, mais également humain et technologique, avec des équipes suffisamment étoffées et compétentes pour gérer et accompagner sa croissance. »

D’acquisition en acquisition…

Cela étant dit, pour avancer de concert avec un fonds, chacun applique sa recette. Mais les ingrédients sont souvent les mêmes, au premier rang desquels une politique de croissance externe soutenue. Astoria Finance – dont Naxicap Partners est devenu majoritaire en 2017 – en a ainsi accéléré le rythme depuis 2014. « Après avoir acquis Les Comptoirs du Patrimoine, fin 2018, et Les Boutiques de l’Épargne – Épargne et finance, fin 2020, nous devrions conclure une transaction portant sur plusieurs centaines de millions d’euros d’encours, courant septembre 2021, dévoile Malcolm Vincent, le directeur général du groupe fondé par Antoine Latrive en 2002. Nous avons d’autres beaux deals “ dans le pipe ”, dans un horizon plus lointain.» Herez, pour sa part, a conclu trois rachats successifs sous l’ère Florac : peu après avoir intégré dans ses équipes un CGP indépendant spécialisé en immobilier, il a repris le Lyonnais Fromental Paccard (250 millions d’euros d’actifs), le cabinet rochelais Annereau (260 millions) et tout récemment une CGP parisienne indépendante à la clientèle très haut de gamme (200 millions). 

Même chose du côté de Groupe Crystal. Fin mai 2021, il a annoncé être en discussions exclusives pour intégrer les cinq cabinets du projet Victoire, totalisant 2 milliards d’euros, ainsi que leur société de gestion commune, Wiseam. « Nous n’avions jamais fait le choix d’acquérir une société de gestion jusqu’à présent, souligne Bruno Narchal, car nous n’avions pas encore la taille suffisante et nous avions une autre société de gestion au capital, Ofi. Cela nous donnera un outil supplémentaire, pour une plus grande réactivité et la possibilité de prendre des mandats de gestion que des intervenants plus petits ne pourraient pas obtenir. »

Quant au Groupe Cyrus, il devrait dépasser les 8 milliards d’actifs d’ici à la fin de l’année en concrétisant l’acquisition de la société de gestion Amplegest – pour laquelle il bénéficie de négociations exclusives depuis début juillet. « À l’issue de cette troisième opération majeure de croissance externe, menée cette année, nous conserverons 65 % du capital avec les salariés, aux côtés de Bridgepoint et d’Allinvest », pointe Meyer Azogui.

Stratégies de consolidation diverses

Pour mener cette stratégie d’acquisitions, la profession diverge quelque peu sur la perspective d’avoir un actionnaire financier majoritaire ou minoritaire (lire également les regards croisés, ci-après). Sans aller jusqu’à brandir le contrôle du capital comme un  étendard, certains expriment des réticences à l’idée de contrôler moins de 50 % des parts ; d’autres, en revanche, s’y conforment plus volontiers. Rien de très inhabituel pour les professionnels du private equity, en somme : tout est question d’équilibre entre les parties. Pour Malcolm Vincent, chez Astoria, « il est logique de se faire diluer au capital au fur et à mesure des build-up. Refuser de devenir minoritaire, c’est accepter la possibilité de ralentir le rythme des croissances externes et, dans le contexte actuel de consolidation, de mettre plus de temps à s’imposer sur le marché. »

Encore faut-il garder la main sur la stratégie à conduire, grâce à une gouvernance bien établie. En tirant à grands traits, deux camps s’opposent ici : les partisans de la concentration horizontale – ciblant les CGP permettant d’étoffer un réseau ou un maillage territorial (souvent au gré de départs en retraite des fondateurs de la cible) – et ceux qui préfèrent jouer la carte de la concentration verticale – en prenant le pari de faire coexister plusieurs métiers. Derrière ce choix, une question de marges, que les seconds souhaitent réintégrer le plus possible… en étant notamment à la tête de sociétés de gestion (une option qui n’est possible qu’à la condition d’avoir des organes de décisions distincts et aucun lien de subordination). Pour les autres, mieux vaut toucher une large clientèle.« Chez Herez, nous avons fait le choix de “ challenger ” les banques privées, en offrant un suivi client de qualité grâce à une équipe interne forte d’une soixantaine de professionnels de la gestion de patrimoine experts en immobilier, ingénierie patrimoniale, ingénierie fiscale, allocation d’actifs, etc.», détaille par exemple Patrick Ganansia. « Pour continuer à être ainsi un acteur de l’architecture ouverte centrée sur le client, il nous faut augmenter le nombre de familles suivies et les capitaux conseillés. » 

De son côté, Meyer Azogui explique que « Cyrus n’est pas simplement un distributeur. Les deux sociétés de production dont nous disposons déjà – Invest AM et Eternam – nous permettent de créer des offres différenciantes et souvent sur mesure, tout en sécurisant nos opérations et en maîtrisant nos interventions de l’amont à l’aval. Avec ce cross-selling, qui permet d’intégrer verticalement certaines marges et d’avoir un chiffre d’affaires plus profond, nous sommes en mesure de mieux passer d’éventuelles années moins porteuses. »

Du côté de Primonial, les acquisitions se veulent parfois plus ciblées, pour continuer à garder une longueur d’avance. Cette année, il a poussé ses pions sur le Web en reprenant Netinvestissement, une market place « qui touche les CSP++ d’environ 30 à 50 ans, en leur donnant la possibilité d’affiner leurs analyses et, in fine, l’envie de s’adresser à un professionnel pour répondre à leurs problématiques de placement », détaille Rachel de Valicourt. Une transaction conclue quelques semaines avant de prendre le contrôle de L’Union Générale des Placements, un concepteur et distributeur de produits structurés, « qui ont reconquis leurs lettres de noblesse et pris toute leur part dans la stratégie patrimoniale », poursuit la dirigeante. Une chose est sûre, du côté des offres : l’immobilier et le private equity y ont actuellement une place de choix, chacun essayant de proposer les produits les plus prometteurs. Et c’est là que la comparaison des acteurs en présence touche à ses limites : derrière le montant des encours gérés et le qualificatif très « générique » de CGP se cache une diversité liée à la stratégie déployée par chacun et les produits proposés au client final. De quoi nourrir un peu plus, si besoin était, le mouvement de concentration – dont certains annoncent qu’il devrait aussi toucher plus fréquemment les acteurs du numérique. 

Inflation sur les prix 

Et tout cela, au risque de voir les prix des CGP s’envoler. « Le marché agit un peu sans trop de distinction sur la qualité des acteurs. Tout semble justifier des prix élevés, mais cela ne durera pas longtemps », estime Nicolas Teboul, managing director chez Florac. Et Thomas Simon, chez Apax, de confirmer qu’il y a « un peu d’inflation sur les valorisations, mais cela n’est pas un problème majeur puisqu’il y a beaucoup de structures sur le marché et  de création de valeur à réaliser. » Affaire à suivre. D’autant que certains évoquent un autre facteur affectant le secteur du courtage, dans sa globalité : le décloisonnement entre les différents métiers qu’il regroupe. En atteste la stratégie déployée par le Groupe Meilleurtaux.

Après avoir repris, mi-2019, la plateforme de conseils en investissements financiers MonFinancier – alors rebaptisée Meilleurplacement – pour élargir son offre de produits, il s’est emparé au printemps 2021 du courtier Mes-placements.fr, de sorte à doper son pôle épargne, ainsi constitué. Une plus grande porosité entre les distributeurs de produits financiers et les distributeurs de produits d’épargne risque fort d’être l’un des moteurs de la recomposition du marché des CGP. Avant que ne surviennent des rapprochements stratégiques entre acteurs de premier plan, qui sait ?

 

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