Enquête – Tech & Patrimoine : création d’un écosystème

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Comme pour d’autres secteurs de l’économie, les outils numériques bouleversent progressivement le métier des CGP. Deux éditeurs, Harvest et Manymore, se sont imposés sur ce marché durant la première vague d’informatisation des années 1990 et 2000. Les importantes évolutions technologiques de ces cinq dernières années ont permis l’avènement de nouveaux acteurs.

Octobre 2015… Toute la scène fintech naissante se réunit pour la première fois à Bordeaux : des entrepreneurs interviennent sur leur intention de «disrupter» le monde de la finance. Alors que le mot « fintech » fait son entrée dans le jargon post-moderne de la FrenchTech, les projets visant à s’attaquer au monde de la gestion d’actifs et du patrimoine sont nombreux, « robo-advisors » en tête. Les fondateurs de ces plateformes, qui automatisent les choix de fonds, rêvent de trajectoires à la Wealthfront ou Betterment. Beaucoup de représentants de l’industrie financière traditionnelle sont là aussi, mais discrets, parfois incognito : ils viennent comprendre ce qui les attend. Six ans après, le paysage a beaucoup changé. Les grands institutionnels « corporate » sont sortis du bois. Ils ont ouvert leurs incubateurs pour organiser leur veille industrielle. Les anciens « disrupteurs » se sont organisés en syndicats avec France Fintech, mais aussi d’autres initiatives institutionnelles : Insurtech France, Finance Innovation… Les grands du secteur commencent à se réinventer et les fintech ont adapté leurs technologies.

Les CGP au centre des attentions

Certains d’entre eux ont réinventé un métier, technologie à l’appui, comme October, spécialisé dans le financement bancaire des PME. Créée en 2014 par Olivier Goy et financée par Partech, puis des assureurs comme CNP et Matmut, cette fintech est emblématique d’une tendance forte : le passage d’un service destiné au grand public à des produits destinés aux professionnels. De grands investisseurs ont rejoint les 27 000 prêteurs de la plateforme qui ont financé plus de 1 700 projets avec près de 630 millions d’euros. October est ainsi passée du « crowdfunding » à des modalités de financement classiques via les institutionnels.

Parmi les nombreux exemples de ces « pivots », on peut citer FundShop, un robo-advisor qui s’adressait initialement au grand public… puis s’est mis à concevoir des robots-conseillers en marque blanche pour les institutions financières et les banques privées. Soutenue notamment par Axa Strategic Ventures et Apicil, elle a lancé un outil digital pour les CGP : SmartInvest, qui englobe l’entrée en relation client, l’automatisation des opérations avec les fournisseurs de produits et la construction de portefeuille. Ou encore, la bordelaise Elwin, née de Mieuxplacer.com, qui a levé 5 millions d’euros au total. Sa plateforme initiale de vente automatisée de produits d’épargne est devenue un logiciel expert de la conformité métier qui facture désormais 350 licences par mois. Une partie des processus et des documents réglementaires est ainsi générée automatiquement, en se basant sur les modèles fournis par les chambres professionnelles, pour aider le CGP à se concentrer sur le conseil humain. Elle a ensuite étendu ce service aux sociétés de gestion et aux compagnies d’assurance, deux marchés en demande de conformité automatisée dans un contexte réglementaire mouvant. Plus généralement, les fintech se sont tournées vers l’usage, en se centrant sur l’utilisateur : non le grand public, mais les professionnels. Et, ce faisant, elles se sont trouvées face aux grands éditeurs de logiciels du métier, et notamment le leader, Harvest.

De la compétition à la “coopétition”

Déjà performant dans trois segments (la gestion du compte client, le bilan patrimonial, et la relation du compte client), Harvest s’est lancé dans le rachat de start-up et entreprises de data pour étendre sa présence dans les nouveaux services : Fidroit en décembre 2020, puis Quantalys en juin de l’année suivante. La première fournit du contenu technique aux conseillers, alors que la seconde a développé une technologie d’agrégation et d’analyse sur des typologies de produits financiers qui complète celle de Harvest. « Nous avons à coeur de proposer aux CGP des outils du quotidien, qui ne servent pas uniquement à faire un bilan patrimonial une fois par an, mais qui leur permettent véritablement de renforcer leur posture de conseil », explique Delphine Asseraf, directrice générale déléguée de Harvest : « Ce que les fintech ont apporté, c’est le fait de capter les attentes des clients et de les intégrer dans la démarche de construction du produit, de façon beaucoup plus systématique ». 

Ainsi est né, petit à petit, un écosystème où la compétition fait place à la complémentarité et la coopération ou, selon le terme consacré, la « coopétition » entre start-up et grands acteurs. On peut y dénombrer neuf segments principaux : de l’allocation d’actifs (bien des robo-advisors ont transformé leurs outils pour les intégrer dans la chaîne de valeur de la gestion de patrimoine, à l’instar d’Active Asset Allocation) aux simulateurs, via le bilan patrimonial, la conformité, la data… D’après une étude de L’Argus de l’assurance en 2018, près de deux tiers des CGP utilisent O2S, le gestionnaire de compte-client de Harvest, étendu progressivement à la relation client. « Nous souhaitons que les conseillers qui font appel à nos services bénéficient de la proposition de valeur la plus complète, en leur permettant de passer d’un outil à l’autre sans friction », résume Delphine Asseraf, qui affirme sa volonté de construire un projet industriel à l’échelle européenne, en laissant aux fintech leur identité propre. Son grand rival, Manymore, vient d’être repris par son fondateur Pierre-Laurent Fleury, permettant à Axa de sortir du capital. Il peut désormais lui aussi se concentrer sur l’enrichissement de son agrégateur, baptisé Prisme. Les nouveaux entrants, notamment Patrimoney, n’échappent pas non plus à la règle de l’intégration des nouveaux services dans une suite logicielle unifiée.

panel outils CGP

Le danger de la complexité

Cette « vision à 360 degrés » se heurte cependant à une difficulté structurelle : la taille des cabinets de conseil. Au fur et à mesure qu’il intègre de nouvelles fonctionnalités, un logiciel devient plus complexe. Or, l’immense majorité des CGP a moins de deux salariés. Et il se trouve aujourd’hui dans une posture centrale, face à des choix technologiques difficiles. 

Très nombreuses et parfois peu lisibles, les offres émanent des éditeurs, des réseaux qui se sont équipés ou encore des groupements. Et que dire des gestionnaires d’actifs eux-mêmes, qui ont quasiment tous développé leur solution maison ? « Le CGP reste un utilisateur qui privilégie les interfaces fluides et agréables », rappelle Anne-Sophie Le Quinio, COO et cofondatrice d’Elwin : « L’innovation doit porter bien plus sur l’usage que sur la technologie ».

La solution de l’interopérabilité

La simplicité peut venir de la technologie elle-même. Tout comme le logiciel opéré à distance (le mode « SaaS » dans le « cloud ») est devenu la norme en dix ans, le débat porte désormais sur l’interopérabilité : la compatibilité des outils entre eux et leur capacité à communiquer. Connu dans le jargon comme « l’APIsation », il recouvre deux phénomènes : les « marketplace », prenant exemple sur le succès de Saleforce il y a 20 ans et la réaction des grands éditeurs. La start-up Odonatech vient de lancer, le 31 août dernier, la première des places de marché de logiciels à la demande. Baptisée Odonaplace, elle veut « constituer une communauté de conseillers fédérés autour de la notion de relation humaine, durable et responsable avec leurs clients » d’après le fondateur de la fintech Stéphane Dothée – et pour cela, réunir suffisamment de briques interopérables (via des interfaces d’application programmables, ou API) pour que les CGP y trouvent leur bonheur. Créée en 2017, Odonatech veut mettre au service des CGP les découvertes des sciences comportementales, à l’intersection de la psychologie et de la finance. Tout comme son concurrent Neuroprofiler, elle permet de cerner le profil investisseur de son client de manière plus précise, et sans que l’exercice soit fastidieux pour ce dernier. « Notre technologie repose sur trois piliers » détaille Stéphane Dothée : « Les sciences comportementales nous permettent de cerner les préférences et motivations des investisseurs ; les algorithmes de data science agrègent et valorisent les données individuelles ; enfin le principe de gamification. Cette innovation d’usage facilite la relation entre le conseiller et son client, en même temps qu’elle contribue à l’éducation financière du particulier ». D’autres places de marché devraient être lancées rapidement, selon nos informations. Comment réagiront les grands éditeurs de logiciels face à cette déferlante ? Si l’on se base sur l’expérience d’autres secteurs, il semble probable qu’ils finiront par ouvrir leur technologie à des partenaires experts de l’une ou l’autre brique du métier, de manière à éviter qu’une offre alternative ne vienne les concurrencer. Cela reste particulièrement vrai des « must-have », comme la conformité réglementaire ou l’expertise technique. 

Autant dire que le paysage n’est pas simple. Comme la guerre de Troie, la « révolution fintech » n’aura donc pas lieu ; en tout cas pas comme elle était imaginée initialement. Mais la tendance de fond reste la même et la chaîne de valeur du patrimoine tend fortement vers l’utilisation de nouveaux outils. Et comme la guerre de Troie, on n’a pas fini d’en parler.

Article initialement écrit pour notre magazine à télécharger gratuitement par ici

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