La recherche sert aussi à comprendre les lacunes des outils financiers existants

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A l’occasion de l’événement “Discutons la finance durable” co-organisé par L’Institut Louis Bachelier qui s’est tenu à La Place le 12 novembre 2019, nous avons voulu mieux comprendre comment fonctionne l’Institut. Également installés au sein du Palais Brongniart et membre fondateur de La Place, ils ont pour vocation de promouvoir, partager et diffuser la recherche en économie et finance. Parmi ses équipes, L’Institut Louis Bachelier compte des analystes financiers et extra-financiers, comme Stéphane Voisin coordinateur du programme de recherche “Green & Sustainable Finance Transversal Program. Lors de l’événement, il a pu présenter l’ouvrage qu’il a co-écrit : “Detox Finance”. Il est également revenu pour nous sur son rôle et son travail au sein de l’Institut.

Evenement LaPlace sur La Finance Durable

Stéphane Voisin, pouvez-vous nous parler de votre rôle au sein de l’Institut Louis Bachelier ?

Je coordonne au sein de l’Institut Louis Bachelier le programme interdisciplinaire sur la recherche en finance verte et durable (piloté par l’Institut Louis Bachelier et créé à l’origine par d’autres institutions comme la Caisse des Dépôts), ainsi qu’un autre programme de recherche spécifique sur la Blockchain for good. Au sein de l’Institut Louis Bachelier, il y a une soixantaine de programmes de recherche qui se regroupent autour de quatre grands axes, parmi lesquels la finance verte et durable. Et sur cet axe précis, il y a plusieurs programmes et chaires : notre objectif avec Peter Tankov, le directeur scientifique, est de bien coordonner toutes ces recherches, de favoriser le verdissement de programmes déjà existants et la création de nouveaux programmes sur des enjeux encore non traités par la recherche académique. Parallèlement, j’enseigne cette matière dans plusieurs établissements dont l’Université PSL Paris-Dauphine et Sciences Po : nous avons comme objectif de pousser l’intégration de modules d’enseignement de finance verte et durable dans la plupart des Masters économiques et financiers. Nous formons ces jeunes à ces nouveaux enjeux et métiers parce que cela correspond à la fois à leurs attentes et à celles de leurs recruteurs potentiels. Aujourd’hui, les banques, les assureurs, les fonds d’actions, les cabinets de conseils sont plutôt en déficit de ce type de profils.

J’ai un passé de praticien, j’ai longtemps travaillé dans l’ingénierie financière en salle de marché et en banques d’investissement, notamment en structuration de produits dérivés. J’ai ensuite fait de la recherche en analyse financière et thématique. Dans les années 2000, j’ai décidé de prendre un tournant vers la finance responsable et durable. Je faisais partie de ceux qui voulaient changer le modèle économique dans lequel on évoluait au sein des banques d’investissement ou du marché pour responsabiliser. Il s’agissait essentiellement de recherche extra-financière et de fonds durables et responsables. Ensuite, cela s’est concrétisé par la création d’autres types de produits comme des obligations vertes. Je suis allé vers ces thématiques de recherche par convictions personnelles. J’ai simplement réalisé que la finance était au coeur du réacteur de l’économie de marché et qu’il fallait responsabiliser ses acteurs. 

Votre thématique de recherche de prédilection est donc encore aujourd’hui la finance verte et durable ?

Oui, essentiellement mais c’est un sujet vaste : il couvre toutes les problématiques environnementales, sociales et de gouvernance. Dans la réalité pratique des attentes et l’urgence de la recherche, ce sujet est très orienté autour du climat. C’est là que l’urgence est la plus forte pour produire des outils qui nous empêchent d’aller droit dans le mur climatique. Dans mon travail et avec l’équipe de l’ILB, nous faisons en sorte que la finance contribue activement et pro-activement à l’émergence de l’économie bas carbone. 

Est-ce un de vos rôles de communiquer sur vos résultats de recherche auprès des professionnels ?

Bien sûr, cela fait partie de nos enjeux : nous avons un rôle d’émulation et de diffusion du savoir. L’idée fondamentale de notre programme de recherche est de s’inscrire dans une dynamique plus globale en traitant avec des universités et des centres de recherche de toute la France, en Europe, voire dans le monde. Nous participons à plusieurs initiatives de recherches, dont certaines dans le cadre de l’ONU. Nous avons vocation à diffuser cette connaissance auprès des praticiens pour qu’ils soient informés des dernières avancées académiques. Mais il faut aussi que les chercheurs soient bien au courant des attentes des praticiens et de leur priorisation pour orienter leurs recherches : là où on manque de recherche, ce sur quoi il est urgent de travailler… Nous faisons beaucoup de workshops, de conférences, de réunions bilatérales, dont une grande partie sont ouverts aux praticiens avec l’idée de favoriser les interactions. 

Et comment agissez-vous pour que tous les résultats de recherche soient utiles et applicables sur le terrain pour les professionnels ?

Je ne dirais pas que nos résultats de recherche sont toujours applicables pour les praticiens mais ils doivent être “utiles” pour la société. Nous devons aussi réfléchir aux limites des outils utilisés par le marché. Il est ici important de rappeler que l’Institut Louis Bachelier a été créé après la crise de 2008 avec la mission de produire de la recherche pour éviter la crise suivante. Nous sommes en quelques sortes des lanceurs d’alerte – mais académiques : nous alertons par exemple sur l’utilisation de modèles à mauvais escient et sur le niveau de confiance beaucoup trop  élevé des marchés dans certains modèles, dont on sait qu’ils nous ont menés dans le mur en 2008. L’excès de confiance dans la maîtrise du risque est un facteur constitutif clé de cette crise. Au regard de la finance verte et durable, nous avons le devoir d’analyser l’efficacité des outils de gestion du risque climatique. La recherche n’a pas toujours vocation à produire de nouveaux outils mais sert aussi à comprendre les lacunes des outils existants. Si le climat devait être à la source de la prochaine crise financière, le principal danger serait de croire que nous disposons des outils pour gérer ce risque nouveau. Il est aussi urgent de travailler sur ces outils que de comprendre leurs limites, et ce d’autant plus que la nature des risques environnementaux apparaît plus compliquée à modéliser et à gérer que les risques financiers. Comme nous n’avons pas pu avoir ce rôle de lanceur d’alerte académique pendant la crise de 2008 – et pour cause, l’Institut Louis Bachelier n’existait pas encore – nous voulons l’avoir pour les crises suivantes. 

Dans quelle mesure votre travail s’inscrit dans les ambitions de l’Accord de Paris sur le climat ?

Notre champ de travail est complètement aligné avec les priorités de l’Accord de Paris. Et notamment l’article 2 qui consiste à dire qu’il faut “aligner les flux financiers sur les objectifs de degrés” et plus précisément avec une hausse limitée à 1,5 degré. Nous devons être capable aujourd’hui de mesurer l’alignement des flux financiers sur l’Accord de Paris : aujourd’hui, de nouveaux instruments de mesure émergent qui prétendent pouvoir le faire, mais nous cherchons à les rendre encore plus fiables et robustes. La plupart des outils de marché sont court-termistes : un de ceux qui voit le plus loin tel que le DCF (Discounted Cash Flow) reste aveugle au-delà de cinq ou sept ans. Nous travaillons pour allonger la durée de prédiction des marchés, cela dans un contexte d’incertitude de plus en plus élevé – renforcé par la réalité pressante du changement climatique. L’analyse de scénarii de très long terme, à 2040 voire 2050, permet ainsi de passer des lunettes à la longue vue. 

Comment l’Institut Louis Bachelier travaille sur la data aujourd’hui ?

Nous travaillons tout d’abord sur la définition de la notion de data : qu’est-ce qu’une donnée verte et durable ? Comment favoriser l’accès à cette donnée ? L’enjeu est de taille : contrairement au cadre des indicateurs financiers très normés, nous sommes ici dans un cadre de construction d’indicateurs désordonnés, très hétérogènes et non normés. Au-delà de la collecte des données, il y a une urgence à construire des bases de données normalisées. Nous pouvons le faire de manière réglementaire en normalisant les données extra-financières mais malgré les volontés, la vérité du terrain nous montre un foisonnement non ordonné. Cela est d’autant plus urgent que la plupart des fournisseurs de données sont concentrés dans les mains des acteurs financiers anglo-saxons. Je pense notamment aux grandes agences d’informations et de notation financières. En plus de la question de souveraineté des données, il faut également produire de la data que le marché ne produit pas naturellement, en partie de la part des émetteurs, des entreprises elles-mêmes. Pour faire face à cela, nous devons contourner l’absence de règles et de reporting par l’open-data et l’extraction des données. C’est crucial pour le développement de la recherche en finance durable, qui se nourrit essentiellement de ce type de données, mais aussi pour le développement des Fintech. Si l’on veut avoir plus des Fintech vertes, nous devons donner un accès facilité et de masse à ce type de données. 

Et sur la blockchain ?

Nous sommes assez convaincus de la fonction d’utilité de la blockchain dans un certain nombre de cas d’usages dans une économie verte et durable. Nous pensons que les infrastructures blockchain peuvent faciliter la mise en œuvre de l’Accord de Paris, qui repose beaucoup sur du consensus, de la collaboration, de la traçabilité, de la transparence. Ce sont autant de vertus de la blockchain, si nous arrivons à neutraliser ses impacts négatifs et notamment sa consommation énergétique. Nous y travaillons notamment au sein d’une coalition internationale que nous avons créée et qui s’appelle Climate Change Connection, soutenue par la Caisse des Dépôts qui tient le registre français du carbone. L’idée est d’envisager comment un registre mondial du carbone pourrait être géré par un écosystème de blockchains : à la fois de façon descendante pour aider des pays qui n’ont pas de Caisse des Dépôts et de registres souverains et de façon ascendante pour créer des initiatives plus proches du terrain comme les projets de compensation carbone. Un enjeu clé est de donner de la traçabilité et donc de la lisibilité à l’action climatique. 

Pour aller plus loin, nous vous invitons à consulter le livre “Detox Finance” co-rédigé par Stéphane Voisin et par Jean-Baptiste Bellon.

Livre "Detox Finance" de Stéphane Voisin etp Jean-Baptiste Bellon.
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