Patrick de Nonneville (Lendix) et Philippe Gaborieau (Happy Capital) : le bilan 4 ans après le début du crowdfunding

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Octobre 2014 : la loi permet aux particuliers et entreprises de prêter de l’argent aux PME qui ont des besoins de financement pour leurs projets. Depuis, le nombre de prêts et d’initiatives financées n’ont cessé d’augmenter : au premier semestre 2018, les volumes collectés par les acteurs de la finance alternative ont augmenté de 59% par rapport à 2017 : cette forte croissance est représentée avant tout chez les fonds de prêt en ligne dédiés aux entreprise avec une hausse de 150% (baromètre du crowdfunding en France, réalisé par KPMG pour Financement Participatif France).
Parmi les grands acteurs français du financement participatif : Lendix et Happy Capital. Nous avons demandé à Patrick de Nonneville (COO Lendix) et Philippe Gaborieau (CEO Happy Capital) de faire un premier bilan sur cette méthode de financement prisée.
(Et pour aller plus loin sur le sujet du crowdfunding, rendez-vous sur notre dernier article).

Patrick de Nonneville, pouvez-vous vous présenter ? 

@Patrick de Nonneville
Je suis le Directeur général de Lendix, une société de prêt aux petites et moyennes entreprises, créée en 2014. Lendix compte aujourd’hui 90 personnes dans 4 pays : en France, où nous nous sommes lancés en février 2015, l’Espagne et l’Italie depuis 2017 et la Hollande fin 2018.
Nous avons réalisé au total 500 prêts, pour un peu plus de 225 millions d’euros investis.

Philippe Gaborieau, pouvez-vous vous présenter ? 

@Philippe Gaborieau
Je suis le fondateur d’Happy Capital, plateforme d’equity crowdfunding créée en 2013. Nous finançons des projets innovants et porteurs de sens. Nous sommes la bourse des PME et des entreprises non cotées. Nous avons financé 40 projets, pour plus de 12 millions d’euros. Notre équipe compte aujourd’hui une dizaine de personnes.
Nous avons une deuxième plateforme qui s’appelle My Capital Immo qui finance des promoteurs immobiliers. Et plus récemment, nous avons créé une startup du nom de Shoyo, qui vise à fluidifier l’investissement, par l’intermédiaire d’un passeport investisseur inscrit dans la Blockchain.
Nous avons de nombreux partenariats avec des banques, des CCI, des écoles comme Les Arts et Métiers ou des Fondations, comme la Fondation maladies rares.

Le financement participatif est de plus en plus médiatisé et prisé : quelle est sa place réelle en France dans le financement global des projets d’entreprise ?

@Patrick de Nonneville
Alors, est-ce qu’aujourd’hui le financement participatif des entreprises a une place importante sur le marché total ? Non ! Par contre, il a une place grandissante. C’est un marché qui n’a pu exister qu’à partir de 2014 quand la réglementation a changé en France.
Il est intéressant de comparer avec ce qui s’est passé aux Etats-Unis ou en Angleterre lorsqu’il y a eu des changements similaires. Là-bas, la toute première plateforme date de 2008 et c’est en 2010 que plusieurs plateformes ont vraiment émergé aux Etats-Unis et en Angleterre. La progression de ces plateformes, que l’on cherche à imiter, est révélatrice : elles ont aujourd’hui une place très importante. Si on regarde la première plateforme de prêts au Royaume-Uni (Funding Circle), elle représente à ce jour quasiment 15% des nouveaux prêts aux entreprises réalisées.
@Philippe Gaborieau
On reste des nains en France ! Tout le financement participatif représente 300 millions, alors que cela représente 4 milliards en Angleterre. On se félicite de notre progression en France, mais elle reste miniature. Je pense qu’il y a encore beaucoup de freins dans ce domaine.
Et le capital investi sur le premier semestre 2018 a regressé de 50%. Il faut se poser des questions. Je pense que l’on est sur un pivot.

Philippe Gaborieau, vous avez un profil entrepreneur et avez créé plusieurs sociétés : quel était votre constat de départ en créant Happy Capital en 2013 ? Est-ce que la situation a évolué depuis 2013 et comment ?

@Philippe Gaborieau
Le constat de départ, c’est ce que l’on appelle l’equity gap, c’est-à-dire que toutes les entreprises en phase d’amorçage n’arrivaient pas à lever des fonds. Lorsque j’ai démarré en 2012, il y avait également de gros freins au niveau des cabinets d’investissements. Je dirigeais auparavant un cabinet de fusions-acquisitions où je levais des fonds auprès des fonds d’investissement. A ce moment-là, les fonds de fonds n’étaient plus alimentés par les institutionnels (assureurs et banques) du fait de l’application des Accords de Bâle III (2010) et Solvency 2 (2009) : c’était un véritable frein dans l’investissement des PME. J’ai cherché alors des solutions pour mes propres clients et j’ai regardé ce qu’il se passait aux Etats-Unis avec le crowdfunding. D’où l’idée de financer ces projets par les particuliers.
Ensuite, les fonds se sont ré-alimentés. Ils ont trouvé d’autres sources de financement. Ils financent aujourd’hui beaucoup plus les sociétés en amorçage. Parallèlement à cela, il y a de plus en plus de sociétés qui se créent. Aujourd’hui la demande n’est toujours pas assouvie. Il serait exagéré de dire que l’on revient au point de départ mais en réalité, cet equity gap existe toujours aujourd’hui. La différence, c’est que le crowdfunding est apparu et que la concurrence se fait entre le haut de bilan et le bas de bilan pour les entrepreneurs.

Patrick de Nonneville, vous avez auparavant travaillé chez les acteurs historiques de la finance (dont Goldman Sachs) : quel est votre avis sur le remplacement des financements traditionnels (par les banques) par celui des plateformes de financement participatif (comme Lendix) ?

@Patrick de Nonneville
Le remplacement n’est pas le but. En tous cas, ce n’est pas pour cela que Lendix s’est lancé. Mon passé dans la banque m’a permis de constater un certain nombre d’éléments : premièrement, il est beaucoup plus facile de lever 500 millions d’euros que de lever 500 000 euros. Il y a un très grand montant de liquidités qui est arrivé sur le marché après la crise, à travers les bilans des banques. Mais ces montants ont eu du mal à atteindre les plus petites entreprises.
Je pense que malheureusement, cela va aller en empirant. On sait que les réseaux bancaires vont devoir changer et d’un point de vue coût et efficacité (bilans comptables et process), cela va devenir plus compliqué de faire des tickets moyens.
Lendix s’est positionné en partant de ce constat : il y a une offre complémentaire aux banques pour les entreprises qui sont en dessous de 5 millions d’euros mais qui ont des besoins de développement. Les banques sont fortes sur les très grandes entreprises ou les toutes petites entreprises (sur des tickets de 10 ou 100 000 euros). Nous sommes sur un funding gap (déficit de financement) de dettes pour les sociétés qui sont déjà de taille relativement importantes mais pas encore des grands corporate.

Quelles sont les barrières que vous souhaiteriez voir se casser pour aller plus loin dans le financement participatif ?

@Philippe Gaborieau
Les barrières touchent essentiellement à la réglementation. De l’avis commun de l’ensemble des plateformes d’equity crowdfunding, le régulateur a mal choisi notre statut. Dans tous les autres pays d’Europe, les plateformes d’equity crowdfunding ont un statut de RTO (Réception et Transmission d’Ordres). La France a voulu se différencier et nous a placé sous un statut de “Conseiller en investissement ». Cela implique que la démarche et le parcours de l’investisseur deviennent un véritable parcours du combattant. Pour les plateformes de crowdfunding, c’est un véritable frein.
L’autre point lié à ce statut juridique, est que l’on ne peut faire ni publicité, ni démarchage. On se retrouve finalement dans une situation paradoxale : d’un côté, nous sommes sur internet, nous restons visible sur du mass market, mais d’un autre côté, nous ne pouvons quasiment pas le dire et parler de nos projets. C’est aliénant.
Le troisième point concerne les ICO : je pense qu’il faut très vite faire en sorte que les ICO en security tokens (STO : Security Token Offering) soient ouvertes en France aux plateformes d’equity crowdfunding, pour compenser notre épine dans le pied qu’est notre statut de conseil.
@Patrick de Nonneville
Il y a un cadre réglementaire qui existe et qui a peut-être des inconvénients. Mais il a le mérite d’être relativement clair. C’est comme lorsque l’on fait un sport : si l’on se lance dans une partie et que l’on ne sait pas de quelle façon l’arbitre va décider, c’est très compliqué. Dans notre cas, nous avons au moins un cadre. Et c’est ce cadre qui a permis, je pense, au crowdfunding et au crowdlending de se développer relativement rapidement en France, à partir du moment où cela s’est ouvert.
Ce que nous demandons tout d’abord, c’est que ce cadre réglementaire ne soit pas modifié de manière dramatique dans un sens ou dans un autre, pour pouvoir continuer à évoluer.
Il est clair que Lendix opérant dans plusieurs pays en Europe, nous sommes obligés de prendre en compte des contraintes européennes pour tout ce qui concerne les paiements ou gestions de fonds institutionnels et des contraintes très locales pour toute la partie particuliers. Cela nous simplifierait beaucoup la vie si le fameux statut de plateformes de crowdfunding et crowdlending européen finissait par arriver.
@Philippe Gaborieau
C’était tout le sujet des passeports européens ! En 2014, j’ai participé à l’élaboration du projet de loi du crowdfunding, côté equity. Il y a un point qui a complètement disparu du projet et qui pourtant était inscrit au départ : c’est l’accord d’un passeport européen aux plateformes de crowdfunding, que nous n’avons toujours pas et que nous n’aurons pas avant un bon moment je pense. A mon avis, ils veulent le laisser aux Prestataires de Service d’Investissement (PSI). Alors que les pays européens les accordent aux plateformes d’equity crowdfunding.
A noter que Lendix est régulé par l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation, intégré à la Banque de France) et que Happy Capital est régulé par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers, autorité administrative indépendante). Nous n’avons pas le même niveau de contraintes entre les deux car l’AMF est plus astreignante. Par exemple, nous devons faire remplir des questionnaires de connaissance clients à nos clients, où on leur demande leur patrimoine, etc. Cela a énormément de conséquences sur le taux de transformation.
@Patrick de Nonneville
Ce n’est pas tant la différence entre l’ACPR et l’AMF qui compte, que la notion de “conseiller”. Comme Happy Capital a une mission de conseil (vous conseillez vos clients), vous avez des obligations supplémentaires pour pouvoir les conseiller.
Aujourd’hui, Lendix envoie également des questionnaires à ses clients, où nous leur demandons combien ils comptent investir en proportion de leur capital, etc. Mais ce n’est pas en effet une obligation de l’ACPR.

Quels sont les clichés du financement participatif contre lesquels vous vous positionnez ?

@Patrick de Nonneville
Il existe plusieurs clichés et ils dépendent de l’interlocuteur que l’on a en face de nous.
Le premier cliché vient des emprunteurs qui nous disent “Le crowdfunding, c’est cher !”. Ils ont tendance à regarder les taux, qui sont une partie du coût du financement, sans regarder les conditions qui sont autour. Parmi ces conditions, on retrouve par exemple l’absence de garantie personnelle ou la rapidité du processus qui leur permet de passer plus de temps sur leur business que sur leur demande de prêt, ce qui, à mon avis, vaut les 200 ou 300 points de base qui peuvent être pratiqués au-dessus des taux bancaires.
Il y a un autre cliché véhiculé par les acteurs traditionnels qui est : “Les plateformes posent un risque systémique, elles font de l’arbitrage réglementaire qui leur permet de faire des choses que nous, acteurs historiques, ne pouvons pas faire”. Je peux comprendre pourquoi les banques disent cela mais je suis fortement en désaccord avec cette opinion. Les Fintech comme Lendix et Happy Capital sont des acteurs non leveragés : nous n’avons pas de risque lié au bilan. Nous ne sommes pas en train d’emprunter de l’argent pour en prêter à d’autres. Si une plateforme perd la totalité de ses prêts, il n’y a pas de conséquence systémique sur le reste du marché. Je trouve ces clichés vraiment étonnants, notamment lorsqu’ils viennent de régulateurs sous des impressions laissées par du lobbying efficace.
C’est à nous, plateformes de crowdfunding, de faire le travail pour éduquer à la fois les emprunteurs, les régulateurs et les acteurs traditionnels sur les différences qui existent.
@Philippe Gaborieau
J’ajoute deux points.
Le premier cliché que j’entend, c’est : “Les plateformes sont les gentils et les banquiers sont les méchants”. Aujourd’hui, on se rend compte que l’on est capable et que l’on doit faire travailler ensemble ces deux typologies d’acteurs.
D’un autre côté, j’ai parfois des gens qui me disent que nous sommes des plateformes full digital. Nous le sommes en partie mais en ce qui concerne les plateformes d’equity crowdfunding, nous nous dirigeons certainement vers du click and mortar (littéralement de briques et de clics) c’est-à-dire avec à la fois une distribution en physique et en ligne.

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