Prêcheurs du paiement mobile en France : votre combat est loin d’être fini

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Le paiement mobile est au centre de l’attention depuis maintenant quelques temps. L’arrivée des poids lourds Google, Facebook ou Samsung renforce encore plus l’attention que le grand public, les médias et les professionnels (de la finance ou non) portent à cette nouvelle méthode de paiement pour le commerce. Tant mieux. Tant pis aussi.
Parfois, je me pose la question. Ne suis-je pas passé au paiement mobile parce que ma banque ne propose pas Apple Pay ? Après tout, j’aurais très bien pu souscrire à Max, à Lydia, ou à n’importe quel autre service offrant une carte et payer mes courses avec mon iPhone. Oui, mais non. Et ce pour une raison que j’ignore, ou tout du moins que j’ignorais jusqu’à peu. Dans mon cas, il s’avère que je trouve plus aisé de payer avec ma carte qu’avec mon téléphone, cause d’une irrémédiable habitude ?

En tous cas, une chose est sûre : je suis loin, très loin d’être un cas isolé. Les cordonniers sont les plus mal chaussés me direz-vous ? Et bien le cas est loin de ne concerner que les aficionados de la Fintech et autres technophiles invétérés. On a constaté une hausse de 145% des paiements sans contact en Europe en 2017, mêlant cartes et appareils connectés. Et 34% des habitants du vieux continent se disent prêts à passer au paiement mobile, près d’1/4 au paiement tap & go (bracelets, montres, anneaux…). Prêts ? Cela ne veut pas pour autant dire qu’ils le feront dans de courts délais. En effet, malgré certains pays qui sont très rapidement passés au paiement mobile, comme les pays nordiques, d’autres font de la résistance.

Un marché colossal… Mais pas pour tout le monde

Si l’on se penche sur notre marché national, 1,2 milliard de paiements sans contact ont été réalisés tout au long de l’année dernière. On estime qu’en 2018, 2 milliards de paiements sans contact auront été faits sur le territoire. Joli ! Seulement, si l’on se penche sur le détail du volume de transactions, le Groupement Cartes Bancaires estime un petit chiffre de 10 millions de paiements via mobile, soit moins de 0,1%. Autant dire que sur la masse, ce chiffre a tout de l’anecdotique, et ne fera pas mentir Goscinny ou Uderzo sur le plan des irréductibles Gaulois. Les analystes estiment que ces volumes vont considérablement augmenter dans les années à venir, mais il apparaît que dans les faits, les consommateurs ne se hâtent pas à passer au tout mobile.
Mais n’est-ce pas aussi un manque d’informations “officielles” de la part des consommateurs ? J’ai eu le plaisir de discuter avec Andréa Toucinho, consultante moyens de paiement et services financiers chez ADN’co. Sur ce point, Andréa Toucinho parle d’un “mode de communication et de pédagogie spécifique à la France”. En effet, avant de communiquer, les acteurs en charge du déploiement attendent que consommateurs et professionnels soient équipés avant de communiquer de manière massive sur de nouvelles technologies ou de nouveaux usages. La raison est louable, dans la mesure où il s’agit de permettre les déploiements et les premières utilisations dans les meilleures conditions possibles. Est-ce la même chose pour le paiement mobile ? Je me le demande, dans la mesure où on observe tout de même une communication massive. Ou alors avons-nous besoin d’un déclic provoqué par une communication des pouvoirs publics, signe que tout est en place, sécurisé et accessible ? Je n’en suis pas certain.
Je suis d’accord, il m’est facile de venir remettre en doute l’adoption alors que le sujet n’est sur la table que depuis très peu de temps. Andréa Toucinho me rappelle que “pour le sans contact, la migration SEPA, le temps d’adoption a été relativement long.” Une manière de dire de laisser le temps au temps, et la courbe estimative de progression ci-dessous lui donne plutôt raison.
Mais le fait de payer avec son mobile n’est pas forcément le problème de fond. Le problème de fond, ce sont les données. Alors que nous sommes habitués à confier notre “intimité financière” aux acteurs bancaires historiques, passer le cap pour les donner à Apple, Samsung, Facebook et consort n’est pas si évident que ça, même chez les jeunes.
Andréa Toucinho détaille : “Quand, au départ, les entités financières en ligne ont été lancées, on avait tendance à penser que les prochaines générations n’iraient pas dans les structures historiques. Et pourtant, force est de constater que les nouvelles générations veulent encore une démarche relativement traditionnelle, bénéficier d’un conseiller, d’une agence… Les systèmes en ligne sont dans la majorité des cas des compléments.” Cela confirme donc le fait que notre intimité profonde est confiée à notre banquier traditionnel. “En France et en Europe, il sera très compliqué pour des structures comme les GAFA et les nouveaux entrants de se voir confier les données des consommateurs, notamment à cause des dérives de certains quant à l’exploitation des données.”

Carte bancaire : la touche sexy de la finance.

Autant la route vers une société cashless semble bien engagée, autant la suprématie des smartphones en France sur ce segment semble moins évidente, du moins dans l’immédiat. Là aussi, il est important de ne pas confondre cashless et paiement mobile, ce qu’ont tendance à faire nombre de personnes. Le paiement mobile est une sous branche du paiement cashless, dont fait aussi partie le paiement par carte.

Oui, le paiement par carte à la peau dure. Il suffit de jeter un oeil aux offres que proposent les Fintech (paiement, néobanques, crédit…) pour constater qu’une extrême majorité propose ou souhaite proposer la souscription à une carte ! Pour des questions de revenus ? Certainement, dans la mesure où ces dernières sont soumises à la souscription d’un abonnement. Mais aussi parce que dans l’esprit collectif, les cartes sont, pour les Fintech un premier pas dans le monde du “physique”, et pour les consommateurs, je le pense, un certain signe extérieur de statut. Si je n’ai pas employé “signe extérieur de richesse”, c’est pour une bonne raison, dans la mesure où les cartes proposées par Lydia, N26, Revolut et consort sont loin de coûter une fortune. Et pourtant les cartes métal que certaines néobanques proposent feraient passer la Centurion d’American Express pour la vilaine de la famille aux yeux des non-initiés. Idem pour la carte de Shine et ses tranches colorées. Ces cartes sont devenues des outils marketing à part entière, sur lesquelles les Fintech s’appuient fortement dans leurs stratégies d’acquisition.
La carte bancaire ne disparaîtra pas au détriment du paiement mobile. Point. Déjà parce que le paiement mobile se base sur l’utilisation d’une carte, physique ou virtuelle, et que les dites cartes virtuelles sont tout bonnement inadaptées à un certain nombre de paiements, à fortiori si ces dernières sont dynamiques ! Adieu abonnements à Netflix ou à Capital, aux services de paiement mobiles type Lydia, Obvy, Pumpkin et j’en passe. Sur ce point, je vous concède que les évolutions techniques pourraient pallier ce type de problèmes. Mais au-delà de ça, elles ont une place clé dans le coeur des consommateurs, dans leur rapport à l’argent, voire dans certaines interactions sociales. La carte bancaire cristallise l’aura du paiement, et la valeur de ce dernier si l’on compare le montant à l’allure de la carte. Elle peut s’avérer être l’expression d’une personnalité, d’une envie, d’un statut.
Je vais vous faire une petite confession. Je n’ai aucunement besoin d’un compte N26. Vraiment pas. Et pourtant, à chaque fois que la Metal s’invite dans mon fil d’actualité, j’ai envie d’y souscrire. Est-ce la matérialisation d’un arrivisme inavoué qui a besoin d’un substitut à court terme ou d’un besoin de démarcation inconscient ? Une réaction d’orgueil identitaire ? Ou suis-je simplement enclin à considérer une carte de paiement comme un “bel objet” ? Qu’on se le dise, une carte peut déclencher des réactions purement émotionnelles auxquelles il est facile de succomber avant d’avoir le temps de passer au rationnel. Pas sûr qu’une e-card sur un écran de smartphone suscite la même attraction. Et j’en appelle aux détenteurs d’une carte Gold ou plus. Ne me dîtes pas que vous repasseriez à une bleue (même si les services étaient les mêmes) sans l’once d’un regret. Je ne vous croirais pas.

Les banques jouent-elles sur deux tableaux ?

Et les banques dans tout ça ? Qu’on se le dise, pour elles, des systèmes tels qu’Apple Pay ou Samsung Pay sont loin, très loin de la bonne affaire. Alors certes, elles intègrent ces modes de paiement afin de répondre à la demande des consommateurs et montrer qu’elles restent à la page, mais je ne serais pas surpris que ce soit à contrecoeur. Un premier élément de réponse tient en deux mots : commission d’interchange. Jusque là, les banques n’avaient jamais eu à partager ce revenu. Je me souviens encore de cette citation d’un banquier qui qualifiait les méthodes d’Apple de “méthodes de brigand”. Et pour cause, Apple leur demande 5 centimes pour chaque transaction réalisée via Apple Pay. Autant dire que les banques n’ont aucun intérêt dans la disparition de cette très chère carte, et encore moins à ce qu’elle se niche au sein de nos smartphones.
Il faut noter aussi que la carte n’a pas dit son dernier mot en ce qui concerne l’innovation. CVV dynamique, biométrie, cartes agrégatrices… D’ailleurs, en ce moment, la carte à empreinte digitale en expérimentation chez Société Générale, permettant le sans contact au dessus du palier des 30€, fait parler d’elle. Vrai bon en avant ou résistance futile ? Les deux points de vue sont viables, en mon sens. D’un côté les banques suivent un courant de tendance basé sur la sécurité et la facilité, en s’appuyant sur une technologie bien connue et validée par le grand public. De l’autre, il est aisé de voir cela comme du protectionnisme, visant à conserver ces fameuses commissions plutôt que de les partager, et donc penser à sa satisfaction exclusive au détriment du consommateur.
Une chose est également vraie,la carte reste un moyen de paiement phare, intrinsèquement lié à la sécurité dans l’esprit du consommateur” confie Andréa Toucinho.
Les banques sont également en train de se doter d’une arme redoutable très attendue : le paiement instantané. D’après Andréa Toucinho, il s’agit potentiellement d’un réel accélérateur du paiement mobile, notamment sur le plan du paiement en ligne et de l’instantanéité. “C’est à la fois un facteur géostratégique et sociétal” déclare-t-elle. Mais là aussi, le temps d’adoption de ce nouveau mode de paiement aura son importance dans sa capacité à transformer les habitudes.

Un peu de nuance.

Je n’ai toutefois pas un avis aussi tranché. Mon caractère résolument optimiste me poussant à penser que des synergies et des accords peuvent être trouvés pour aller à l’encontre des ramifications du paiement et proposer des expériences valorisantes et valorisées entre les banques et les systèmes de paiement mobile embarqués. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : les banques feront tout pour conserver leurs profits et ne pas les partager, et les constructeurs feront également le nécessaire pour imposer leurs solutions et se rendre indispensables aux usages, condition sinéquanone au “passage à la caisse” des banques. Alors certes, des initiatives telles que PayLib tentent de contrer la vaillante conquête de Samsung ou d’Apple, mais la contre-offensive a ses limites. Apple, par exemple, n’ouvre pas son NFC aux applications tierces, et même si la pomme se décidait à le faire, je suis à peu près certain que cela ne s’appliquerait pas aux applications bancaires. Autant dire qu’une alternative à Apple Pay sur un iPhone tient plus du doux rêve que d’une réalité en devenir. On peut aussi noter les initiatives de Lydia ou Lyf Pay qui jouent sur les QR Codes et autres codes barres pour procéder au paiement et passer outre les restrictions techniques des constructeurs (même si certains services proposent aussi Apple Pay), mais cela me semble déjà un peu dépassé en terme d’usage.

Toute la chaîne de valeur est concernée.

N’oublions pas qu’un autre maillon de la chaîne, de plus déterminant, est aussi concerné par ces évolutions : les fournisseurs de terminaux de paiement. Pour Nicolas Brand, Directeur marketing et communication d’Ingenico France, le paiement mobile ne change en définitive pas grand chose, dans la mesure où les terminaux acceptent le NFC depuis déjà longtemps. Toutefois, “l’évolution des usages redéfinit nos orientations. L’insertion de carte reste un élément essentiel, mais nous concevons des terminaux de plus en plus riches en technologies. La saisie de code n’est plus forcément universelle, aussi nous nous interrogeons sur la place de pavé numérique. Ce dernier a bien entendu toujours sa place, mais le fait qu’il soit physique n’est plus une obligation dans certaines géographies ou le NFC et le QR code on pris le dessus.”
Ces quelques mots viennent encore conforter notre unicité nationale sur ce point. Aux Etats-Unis, par exemple, pas de code, la bande magnétique suffit. Cette évolution des terminaux ouvre également de nouvelles perspectives en terme d’expérience. Nicolas Brand nous donne quelques pistes en abordant “une augmentation de l’expérience utilisateur, en disposant d’un espace plus important pour l’écran et la diffusion de contenus. Nous nous dirigeons vers des terminaux qui ne ressembleront plus à des terminaux comme nous les voyons aujourd’hui. Ils se rapprocheront plus de tablettes, capables d’être à la fois moyen d’acceptation et support d’utilisation d’applications métier pour le commerçant, à l’image de la tablette de paiement et d’encaissement Axium.”
Cet aspect met en exergue l’expression d’un mobilité omniprésente et une adaptabilité sans faille pour toute la chaîne, et en effet, “dans le retail, et même plus largement, la mobilité est un facteur clé. Les terminaux doivent aussi permettre l’omnicanalité. Cela entraîne de forts investissements en R&D, dans la mesure où nous sommes aussi touchés par ces évolutions et tendances qui bousculent le monde du paiement.”
On constate donc de ce côté aussi de fortes évolutions, des plans bien rôdés pour répondre aux attentes des consommateurs, dans un avenir plus ou moins proche, mais, du côté de Nicolas Brand, c’est le même son de cloche concernant la pénétration du paiement mobile. “En terme d’appétence du consommateur pour ces nouveaux usages du paiement, au final, nous constatons peu de changements en France. Il utilise majoritairement le système qui lui procure le plus de simplicité, et psychologiquement de sécurité, à savoir la carte.”

Après la pluie vient le beau temps.

De nombreux points freinent le développement massif du paiement mobile comme on l’entend aujourd’hui, aussi bien du côté des acteurs historiques de la finance que des consommateurs. Je suis tout de même tenté de mettre en perspective ces différents freins avec ceux auxquels l’industrie du disque et les consommateurs ont été confrontés lorsque la dématérialisation a fait son entrée. J’étais moi-même collectionneur, et j’aimais profondément ajouter une nouvelle boîte à ma collection. Une maison de disque gagnait aussi bien mieux sa vie. Et un beau jour, Spotify et Deezer sont arrivés. Au début dans la confrontation, les consommateurs ont fini par trancher, en préférant l’abondance, la simplicité d’accès et la vitesse à l’attachement physique au produit. Les maisons n’ont eu d’autre choix que de capituler. Cela ne vous empêche pas de continuer à acheter des disques et le matériel pour les lire. Et c’est probablement le même schéma qui se répétera pour les cartes bancaires, mais cela nécessitera une expérience pour le consommateur bien au-delà du paiement et de ce qui se fait aujourd’hui en matière de services…
Même si nos spécificités en tant que français, et plus largement européens peuvent compliquer les choses. “Dans les pays anglo-saxons, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, les Card Linked Offers (CLO) sont assez répandues. Il s’agit d’un process permettant de bénéficier d’offres sur-mesure basées sur l’étude de l’historique de paiement de la carte. En revanche, ici, culturellement et légalement avec RGPD, cela ne prend pas vraiment.” La route est encore longue, préparez-vous.

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