Philippe Gelis (Kantox) et Marie Garnier (Exton Consulting) : Brexit, quelles conséquences pour les Fintech ?

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« Avant, Londres, c’était incontournable. Aujourd’hui, aucun entrepreneur européen n’imagine y créer une Fintech ». Cette déclaration de septembre 2018 est celle d’un entrepreneur d’une des plus grandes Fintech françaises, Alexandre Prot, fondateur et CEO de Qonto.
Depuis le référendum de juin 2016, la sortie annoncée du Royaume-Uni de l’Union Européenne a provoqué des débats, prises de positions, départs, etc. Les entreprises britanniques et voisines sont aux aguets, les Fintech en première position : les modifications de réglementation changent la donne. Entre effets de foule et décisions stratégiques, quelles sont les conséquences impactantes pour les Fintech ? Pour la première fois chez Fintech mag, les regards se croisent d’un bout de la Manche à l’autre : Marie Garnier, associée du cabinet de conseil en stratégie et management dédié au services financiers Exton Consulting et Philippe Gelis, fondateur de la Fintech britannique Kantox partagent leurs impressions.

Philippe Gelis, pouvez-vous vous présenter ? Quels sont les derniers KPIs de Kantox ?

@Philippe Gelis
Je suis le CEO et co-fondateur de Kantox. Nous développons des solutions automatisées de gestion des devises pour les entreprises. Nous sommes 90 personnes répartis entre Londres et Barcelone, nos volumes d’échanges sont d’environ 2,5 milliards d’euros par an pour un total de plus de 2.000 clients dans 30 pays. Avant ça j’ai passé 7 ans à faire du conseil en stratégie, en particulier chez Deloitte.

Marie Garnier, pouvez-vous vous présenter ? 

@Marie Garnier
Exton Consulting est un cabinet de conseil en stratégie et management spécialisé sur le secteur financier, qui existe depuis 12 ans. Avec près de 120 consultants en France, nous sommes l’un des principaux acteurs dans ce domaine sur la place de Paris et nous nous développons à l’étranger (Italie, Allemagne…). Nous adressons l’ensemble des sujets qui concernent les Directions Générales : développement, marketing, efficacité opérationnelle, fusions… et nous travaillons pour des banques traditionnelles, assureurs mais aussi Fintech, néo-banques, organismes de paiement. Je suis associée au sein de la Practice Banque d’investissement et sociétés de gestion, des activités bancaires particulièrement impactées par le Brexit, après plusieurs années passées comme analyste financier et responsable marketing et développement dans l’asset management.

Quel est le ressenti des Fintech au Royaume-Uni sur leur avenir à Londres ? Les craintes médiatisées sont-elles exagérées ?

@Philippe Gelis
Comme souvent, il y a un gouffre entre la réalité et ce qu’on lit dans les journées. Londres et le UK c’est un marché de 65 millions d’habitants. Mais surtout Londres est un microcosme d’early adopters avec des centaines de milliers de personnes, qui ont une grande culture financière et sont à l’aise avec les innovations venant de la Fintech. Ce dernier point est selon moi la véritable raison du succès de la place de Londres, la traction y est beaucoup plus rapide qu’en Europe continentale, d’où de plus grosses levées de fonds se font par la suite. Avant le Brexit, on avait en plus de cela un accès direct au marché Européen, aujourd’hui remis en cause.
La majorité des Fintechs que je côtoie au UK n’ont aucune intention de quitter Londres, considérant qu’il n’y a aucun éco-système comparable et donc aucune véritable alternative. Évidemment, la cacophonie politique génère des inquiétudes, mais rien de fondamental.

Quelles sont les conséquences du Brexit les plus impactantes pour les entreprises de la Fintech (France et UK) : le recrutement ou le financement ? 

@Marie Garnier
Le Brexit va reconstituer des frontières entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, et même si les modalités n’en sont pas complètement arrêtées, il est déjà clair que cela va impacter la fluidité des activités, des mouvements de personnes et des capitaux et l’on ne pourra plus adresser le marché continental aussi facilement depuis l’autre côté de la Manche avec la perte du « passeport » financier. Si Londres est aujourd’hui la capitale de la Finance en Europe, les cartes vont être rebattues notamment au profit de Paris et Francfort, où les Fintech devraient rapatrier une partie de leurs activités : cela devrait bénéficier au marché continental et booster le recrutement local. Finalement, le Brexit constitue probablement une opportunité pour récupérer des talents en France.
Concernant le financement, notre étude “Attractivité de la France pour le développement de l’écosystème Fintech”, en partenariat avec Finance Innovation, montre que les financements en France sont à un niveau bien inférieur à ce qui se pratique outre-manche (45 % des investissements en Europe se font à Londres) – le Brexit pourrait accélérer un certain rattrapage de ce point de vue. En revanche, cela devrait être plus dur à Londres, qui risque de perdre sa place de Hub européen, mais il n’y aura pas d’arrêt brutal des financements : l’annonce récente de Blackrock de maintenir son siège européen à Londres tout en se renforçant à Paris me semble assez représentative de la tendance à l’éclatement des activités en Europe, plutôt qu’au décentrage brutal.
@Philippe Gelis
Une Fintech qui fonctionne bien au UK risque à l’avenir de devoir créer une filiale dans l’UE et se faire réguler une seconde fois pour pouvoir offrir ses produits en Europe. Ça prend un peu de temps, ça coûte de l’argent et quelques tracasseries administratives, mais ce n’est pas un problème majeur. Une Fintech du UK dotée des moyens financiers nécessaires peut facilement résoudre le problème. A l’inverse, je pense que moins de Fintech Françaises et de l’UE verront l’intérêt d’aller se faire réguler au UK sur un marché déjà très concurrentiel.
Dans l’absolu, je ne pense pas que les Fintech du UK auront des problèmes fondamentaux à se financer, il y aura peut-être une diminution des levées de fonds mais je pense que les montants resteront supérieurs à ce que l’on peut voir en France par exemple.
Concernant le recrutement au UK, il est vrai que c’est un sujet, mais beaucoup de Fintech ont déjà des équipes en dehors du UK depuis longtemps (Kantox, Transferwise, Revolut pour en citer quelques unes), il s’agira donc tout simplement de faire évoluer la répartition. Chez Kantox, nous avons grosso modo 90% de nos effectifs à Barcelone, le reste au UK. Dans le contexte du Brexit, il est probable que nous congèlerons les recrutements au UK en faveur de Barcelone, mais nous ne voyons pas l’intérêt d’ouvrir de nouveaux bureaux en Europe.

Est-ce que selon vous Londres peut rester LA place financière majeure pour les Fintech avec le Brexit ?

@Philippe Gelis
Personnellement, j’ai peu de doutes sur le fait qu’elle restera la place Fintech majeure. Elle perdra éventuellement un peu de terrain mais son avance est trop importante, comparée à Paris ou Berlin, pour que son hégémonie soit remise en cause à moyen terme. Il y a aussi une question de langue : je vois peu de Fintech étrangères venir s’établir en France par exemple.

La France entend justement profiter des évolutions liées au Brexit (2017 : nouveau siège de l’EBA à Paris, etc.) pour devenir une place financière incontournable : est-ce que les premières actions de la France dans ce sens ont déjà de vrais impacts ?

@Marie Garnier
La France a rapidement compris ce qu’elle pouvait gagner dans cette situation. Ainsi, elle a développé toute une série de mesures pour renforcer son attractivité, pour les entreprises financières, comme pour leurs salariés, en matière fiscale notamment. Et l’on peut constater en effet que Paris tire son épingle du jeu avec l’annonce de l’installation d’institutions comme l’EBA et de nombreuses banques ou fonds étrangers, américains ou japonais par exemple. Il n’y aura probablement plus un seul centre en Europe pour la Finance mais un écosystème multi-local, entre Londres, Paris et Francfort et même d’autres sur certaines activités (comme Dublin dans la gestion).

Le Royaume-Uni est le territoire où les Fintech françaises s’exportent le plus : quelle nouvelle carte européenne Fintech va se dessiner ?

@Philippe Gelis
Je pense que les Fintech Françaises vont avoir tendance à se replier sur les marchés de l’UE plutôt que d’aller se faire réguler au UK (à cause des coûts et du temps). L’Allemagne et l’Espagne sont par exemple des marchés très intéressants en terme de taille et moins concurrentiels que le UK. Créer des Fintech réellement pan-européennes est également très excitant, peu d’acteurs y sont arrivés, si on enlève les solutions de paiement type Adyen, mais Lendix et Younited Credit en prennent le chemin.
@Marie Garnier
J’adhère tout à fait à cette vision : je pense que le marché européen est vaste et propose des relais de croissance intéressants et faciles d’accès aux Fintech françaises, comme le montre Younited Credit, une de nos startup tricolores qui affiche un taux de croissance parmi les plus élevés, et qui réalise dorénavant 40 % de sa production hors de l’Hexagone, en Italie et en Espagne. Et ceci est indispensable, car les Fintech françaises qui affichent plus de 10 millions d’euros de revenus par an opèrent toutes à l’international, et la réplication du modèle sur plusieurs pays permet d’améliorer la rentabilité des activités plus rapidement.

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