“Le cercle vicieux du sexisme” touche aussi la tech

Manon Gazin
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Dans son rapport, le Haut Conseil à l’Egalité pointe du doigt l’invisibilisation des femmes dans les métiers du numérique. Sous-représentées, relayées à des postes moins importants, salaires inégaux… Alexia Desporte Richard, entrepreneure de la tech, témoigne.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans un rapport intitulé “La Femme Invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme”, publié le 7 novembre 2023, le Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes montre les inégalités du monde du numérique. Selon cette étude,  29% des effectifs du numérique en France étaient des femmes en 2020. Et ce chiffre descend à 16 % dans les métiers « techniques ». Par conséquent, les femmes sont davantage employées dans des fonctions supports : elles sont par exemple 96% à occuper des postes de secrétaires et 68 % à être présentes dans les ressources humaines.

Il est en effet difficile de trouver des postes de direction occupés par des femmes dans ce secteur: en 2022, seuls 22 % des postes de direction des entreprises de la French Tech 120 étaient occupés par des femmes. Une situation qui peut même faire fuir les investisseurs ou les crédits. “Un banquier à qui je demandais un prêt pour ma deuxième boîte, alors qu’il m’avait suivi pour la première, a dit à mon conseiller: C’est une jeune femme dans la tech. Elle n’y arrivera jamais. Donc on n’y va pas”, raconte Alexia Desporte Richard, entrepreneure et fondatrice de la start-up Composia.

Et la France reste en retard, comparée au reste de l’Europe. Claudine Schmuck, fondatrice et directrice associée du cabinet d’étude Global Contact qui réalise l’étude Gender Scan, explique: «Depuis 2020, la proportion de femmes dans le numérique a augmenté de 5 % en France, contre 15% au niveau européen.»

Une différence de traitement dès les études supérieures

Ces inégalités apparaissent dès les études universitaires. 43 % des étudiantes dans les filières des STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) ont reçu des critiques sur leur orientation par leurs proches, contre 28 % pour les étudiants. Après l’obtention de leur diplôme, seulement 23 % des étudiantes en STIM se retrouvent d’ailleurs dans des métiers techniques, contre 44 % des étudiants. “Quand j’ai pris la spécialité entrepreneuriat en école de commerce, tout le monde m’a dit : mais tu vas vraiment le faire ?”, rit Alexia Desporte Richard. “Et dans cette option, nous étions deux filles pour dix-huit garçons”.

Ainsi, la proportion des femmes diplômées des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) a notamment difficilement atteint les 17 % en 2020. Et si près de 790 000 hommes exercent le métier d’ingénieur en France, les femmes ne sont que 240 000. “Il y a un facteur éducationnel”, affirme l’entrepreneure. “Pour certaines générations plus âgées, la femme est plutôt là pour organiser le foyer. Elle est moins faite pour être ambitieuse”.

Du côté de la rémunération, le rapport souligne que si la filière du numérique a la réputation d’offrir des postes bien rémunérés, des inégalités salariales persistent entre les femmes et les hommes. Même si elles sont moins marquées que dans d’autres secteurs en raison de la forte demande et de la pénurie des compétences féminines. Dans le secteur du numérique, à l’exception de la catégorie des ouvrier·es pour laquelle l’écart atteint les 10 %, plus les fonctions sont rémunératrices, plus l’écart se creuse entre les femmes et les hommes. Les femmes occupant des postes de cadres gagnent ainsi en moyenne 11 % de moins que les hommes. “On estime qu’une femme, c’est un danger. Parce qu’à un moment donné, elle peut avoir un enfant. Donc, il faut moins la payer parce qu’il va falloir la remplacer. Il y a encore un côté très archaïque sur le sujet”, soutient Alexia Desporte Richard.

Quelles solutions ?

Pour faire face à ces inégalités, le Haut Conseil à l’Egalité propose plusieurs solutions : l’auto-évaluation annuelle des plateformes au travers d’un rapport public annuel supervisé par l’Arcom, la mise en place de quotas de filles dans les lycées, ainsi que dans l’enseignement supérieur pour les filières du numérique, un système de bonification dans Parcoursup pour les filles qui choisissent ces filières, la formation des enseignant·es aux enjeux d’égalité femmes-hommes, une incitation financière à la reconversion au numérique supérieure aux autres aides à la reconversion, à destination des femmes…

Pour la fondatrice de Composia, “la plus grosse action à mener, c’est à l’école. J’ai témoigné un jour devant une classe de sixième. Je parle de mon parcours entrepreneurial puis une élève vient me dire: j’ai trop envie de monter mon entreprise, mais je ne peux pas parce que je dois aider ma maman. Ca m’a choquée: déjà petits, on impacte des comportements sociaux, sociétaux et humains qui sont antinomiques avec la femme et contraires à sa volonté d’émancipation au sens large du terme.” 

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