Paiement et inclusion numérique: la disparition des espèces est un mythe

Cyrille Pitois
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Directrice études, prospective, formations au sein du cabinet Partelya Consulting, Andréa Toucinho rédige chaque année un livre blanc sur une actualité paiement. Après les enjeux de sécurité, la dématérialisation, l’open banking et le request-to-pay, elle s’intéresse cette année à l’inclusion numérique. Une actualité réglementaire de dimension européenne a justifié ce choix : la directive accessibilité qui se prépare pour 2025 va concerner différents services et pousse déjà les acteurs à se positionner sur le sujet.

Finance Mag : Les moyens de paiement évoluent au regard de la technologie disponible. Y a-t-il un risque de laisser certains citoyens au bord du chemin ?

Andréa Toucinho : Comme tout ce qui concerne l’innovation dans le périmètre sociétal, la question est de savoir comment les consommateurs peuvent appréhender les nouveaux moyens de paiement qui sont mis à leur disposition au regard de leurs propres difficultés économiques ou technologiques. Chaque développement d’un nouveau moyen technologique engendre des freins à son accès. Souvenons-nous quand les smartphones sont arrivés, des difficultés sont apparues dans les zones géographiques pas ou mal couvertes par les réseaux.

Il y a aussi un sujet autour des problématiques économiques, en l’occurrence pour des populations précaires qui n’ont pas les moyens ou les capacités d’accéder aux outils numériques, ainsi que des exclus que je qualifierais de « volontaires », à savoir les réfractaires au numérique qui ne sont pas majoritaires mais constituent néanmoins un noyau dur que l’on ne peut occulter. Ces personnes ont les capacités mais ne veulent pas franchir le cap pour des raisons environnementales ou de traçabilité. Il y a aussi des populations sans domicile fixe ou migrantes à qui il manque une simple adresse postale pour souscrire l’abonnement qui leur permettra d’accéder à ces technologies.

Responsabilité partagée de l’écosysteme

FM : Les acteurs du paiement, de la finance et de l’économie en général, ont-il conscience de ce risque d’exclusion de certaines catégories de la population ?

AT : Leur approche a considérablement évolué au cours des dernières années. Que ce soit de la part des acteurs institutionnels, des banques, des commerçants, des associations de consommateurs ou même des acteurs de la fintech, il y a une prise de conscience partagée autour de la responsabilité commune de l’écosystème à travailler ensemble à cette inclusion. Elle entre à part entière dans tous les projets pour rendre tous les outils accessibles au plus grand nombre.

FM : Est-ce le chemin vers le paiement full électronique et l’abandon des espèces ?

AT : Il y a un déclin général du paiement en espèces mais l’idée de pouvoir y accéder reste très importante et largement partagée. En réalité, après quelques années de fantasmes autour de la disparition des espèces, on sait maintenant que l’évolution vers le full électronique n’est pas souhaitable. L’accès au cash est un gage d’inclusion même dans des pays comme la Suède ou le Luxembourg où les paiements dématérialisés sont très avancés. L’idée de la Banque centrale européenne est bien de préserver la cohabitation entre les espèces et les autres moyens de paiement.

Les espèces, pierre angulaire du systême financier

FM : Techniquement, les espèces restent pourtant difficiles à gérer.

AT : Le traitement des espèces génère des coûts, de la logistique, des services d’alimentation des distributeurs automatiques de billets, des problématiques de sécurité et de manipulation… C’est toute une filière qu’il faudra continuer d’entretenir. Mais cela reste une pierre angulaire du système financier. Face au sensationnalisme des hypothèses de suppression des espèces, il y a aujourd’hui un certain nombre d’études qui affirment une nécessaire cohabitation entre les moyens de paiement et des stratégies des Comités de paiement qui visent à préserver la filière fiduciaire, comme en témoigne le plan startégique du Comité national des moyens de paiement en France.

D’ailleurs c’est très difficile de supprimer un outil de paiement. Prenez l’exemple du chèque, qui reste utile dans certains cas d’usage spécifique même si on a favorisé des solutions pour le remplacer. Le Royaume-Uni, qui avait décrété sa suppression, est revenu sur sa décision. Ce sont les solutions de remplacement qui le feront mourir de sa belle mort quand le consommateur l’aura décidé.

FM : N’est-ce pas d’autant plus difficile à prévoir que chaque peuple, chaque pays a ses propres pratiques et habitudes ?

AT : Tous les pays Européens sont sensibles au sujet. Tous intègrent une stratégie des pouvoirs publics pour favoriser l’inclusion numérique face aux moyens de paiement. Pour certains pays européens s’y ajoutent des sujets opérationnels. L’objectif est de favoriser une stratégie pan européenne sur le sujet. La première prise de position de la communauté européenne est de favoriser un partage de connaissance sur la pédagogie financière. La directive accessibilité sera la prochaine étape pour une avancée commune de tous.

FM : La biométrie n’est-elle pas le levier le plus favorable à l’inclusion numérique ?

AT : Tout ce qui est biométrie contourne la nécessité de mémoriser un mot de passe. Mais il ne faut pas oublier que, quelle que soit la technologie émergente, elle s’accompagne d’un besoin en pédagogie et éducation. Car la tendance naturelle, c’est de faire confiance aux outils qu’on utilise depuis longtemps plus qu’à l’innovation. C’est l’appétence des consommateurs qui fait la différence. Souvenons-nous du sans contact : c’est la crise covid qui a favorisé largement sa généralisation.

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